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peu à peu. On reconnut qu’il était peut-être plus effrayant qu’efficace et on l’employa peu en Occident, jusqu’au jour où il fut rejeté partout au second plan, aux XIVe et XVe siècles, par la découverte de la poudre à canon, dont la puissance était bien autrement redoutable.

Il continua pourtant à être employé jusqu’au XVIe siècle ; presque tous les traités de pyrotechnie, du temps en donnent la composition et l’emploi ; puis il tomba dans un oubli profond. C’est sous forme légendaire que sa réputation reparaît au XVIIIe siècle, à la suite des récits merveilleux de Lebeau et autres historiens naïfs. On crut alors que le secret du feu grégeois était perdu, et plus d’un inventeur prétendit le retrouver.

Ce fut le cas d’un nommé Dupré, à qui Louis XV acheta sa découverte en 1753. On répandit le bruit officiel que la sagesse de ce monarque, ami de l’humanité, avait replongé dans l’oubli cette puissante invention[1]. Une nouvelle légende que nous lisons dans quelques auteurs de la fin du XVIIIe siècle dit même que l’auteur aurait été enfermé à la Bastille, pour mieux assurer le secret.

En réalité, les essais du procédé furent poursuivis par l’administration de la marine. Dans une expérience faite au Havre en 1758, avec une pompe à huile de naphte, dont le jet était enflammé par une mèche allumée, on brûla même une chaloupe. Nous avons vu reproduire de semblables essais sous la direction du général Trochu, dans le bois de Boulogne, pendant le siège de Paris. En tout cas, c’est à ces imaginations que nous devons la première publication et la meilleure qui ait été faite jusqu’ici du Livre des feux, de Marcus Græcus. Napoléon, ayant entendu dire que cet ouvrage, encore manuscrit, renfermait le secret du feu grégeois, en parla au ministre de l’intérieur, qui demanda à La Porte du Theil, érudit du temps, de lui en rendre un compte détaillé. Par suite, La Porte du Theil en fit imprimer le texte même en 1804, d’après deux manuscrits de la Bibliothèque nationale. Je reviendrai plus loin sur cet ouvrage ; mais il convient d’exposer d’abord les événemens où le feu grégeois a joué un rôle, tels qu’ils ont été décrits par des récits authentiques, afin de préciser le rôle historique de cet artifice. Nous examinerons ensuite le détail de l’emploi de ce feu, son caractère propre et ses effets véritables.

C’est en 673 que le feu grégeois fit son apparition comme invention nouvelle et terrible.

D’après les récits concordans de Théophane, Paul Diacre, Constantin Porphyrogénète, Cedrenus et Zonaras, ce fut en effet lors du

  1. Art de vérifier les dates, p. 417.