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inflammables par l’eau, signalées par Marcus Græcus et par Africanus, et dont j’ai parlé plus haut, le tout baptisé du nom générique de feu grégeois.

Blaise de Vigenère, qui écrivait à la fin du XVIe siècle, parle des feux grégeois au pluriel. Il en existe, dit-il, une grande variété. Les bases en sont le soufre, le bitume, la poix noire, la résine, la térébenthine, la colophane, la sarcocolle, l’huile de lin, de pétrole, de laurier, le salpêtre, le camphre, le suif, la graisse et les autres onctuosités inflammables.

On voit par ces citations que le feu grégeois était pleinement connu au XVIe siècle et que les formules en étaient demeurées à peu près les mêmes depuis Marcus Græcus et les Arabes, lesquels ont reproduit sans doute les prescriptions tenues secrètes par les Byzantins.

Ces formules renferment les mêmes élémens que les mélanges incendiaires des anciens, à un ingrédient près, le salpêtre : mais cette addition est capitale, car elle permettait au feu grégeois une fois enflammé de continuer à brûler, quelle que fût la vitesse du projectile, de brûler aussi sans avoir le contact de l’air et même sous l’eau et de ne pouvoir être éteint ou étouffé qu’avec une extrême difficulté. Les cordeaux d’artifice qui servent aujourd’hui à mettre le feu à la poudre sont constitués par des compositions analogues, et ils ne peuvent être interceptés qu’en les coupant. Si l’on essaie de les éteindre autrement, ils ne continuent pas moins à brûler, jusqu’à ce qu’ils aient atteint la poudre. C’est par de telles propriétés que le feu grégeois avait constitué un engin nouveau et terrible, très supérieur aux compositions antérieures. Mais, tout en donnant aux procédés d’attaque par le feu un développement et une supériorité inconnus jusque-là, il avait continué à être appliqué aux mêmes armes. Sa puissance a duré ainsi, jusqu’au jour où l’emploi des mélanges nitrates qui en formaient la base a conduit à découvrir et à utiliser l’énergie propulsive des agens chimiques, énergie ignorée des anciens et dont le mouvement propre de la fusée avait commencé à donner une idée. Ce jour-là une révolution plus profonde a fait disparaître les machines de guerre usitées depuis deux mille ans et subir à l’art militaire, sur terre et sur mer, des transformations dont le terme n’est pas encore atteint de nos jours.


III. — LA POUDRE A CANON.

La découverte de la poudre à canon est une conséquence de celle des propriétés comburantes du salpêtre ; elle est liée de la