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tels auxiliaires ! Quelques années s’étaient à peine écoulées depuis son mariage, et, favorite déclarée, faite marquise de Pompadour, Mme d’Etiolles remplaçait officiellement la duchesse de Châteauroux.

La place une fois prise, il fallait la garder, la défendre contre les entreprises de la jalousie, contre un ennemi plus dangereux que tous les autres : il fallait lutter contre l’inconstance de Louis XV, surtout contre l’ennui, le morne ennui qui le dévorait, recommencer en quelque sorte tous les jours sa conquête, amuser cet homme, qui, selon l’abbé Galiani, faisait le plus vilain métier, celui du roi, le plus à contre-cœur possible. Elle songea à mettre en œuvre le talent qui lui avait valu de légitimes succès sur les théâtres d’Etiolles et de Chantemerle, afin d’offrir à son amant le ragoût de cette métamorphose continuelle qui la montrerait, elle, la meilleure comédienne de société de son temps, sous les aspects les plus variés. Réaliser l’idéal de l’unité dans la diversité, et, transposant le rêve de Néron, donner seule l’illusion de toutes les formes de la beauté, faire en sorte que celui qui vous aime croie aimer en vous toutes les femmes, n’est-ce pas le triomphe le plus rare, le secret des grandes dominatrices des cœurs ? Tour à tour paysanne, reine et déesse, elle prendrait tous les noms : Colette, Célimène, Pomone, Galatée, emprunterait à chaque héroïne de beauté ses vertus, créerait ainsi des modèles charmans qui la pareraient de leur prestige, et toutes ces réalités aimables, toutes ces fictions poétiques, groupées comme en un bouquet, feraient d’elle cette perfection que les hommes recherchent éperdument et presque toujours en vain : la femme, la femme complète, l’idole, celle qu’on adore avec son âme, avec son corps, dans le passé, dans le présent, dans l’éternité, pour laquelle on soupire, au printemps, à l’été, à l’hiver de la vie, aussi rare que le génie et le bonheur.

Aussitôt qu’elle eut obtenu le consentement de Louis XV, Mme de Pompadour ne perdit pas un instant : elle organisa son théâtre d’une manière savante, supérieure à tout ce qu’on avait vu jusqu’alors, elle en fit une machine de gouvernement et d’influence en exploitant les innombrables ressorts de la vanité humaine. Troupe de comédie et troupe d’opéra, chefs d’emploi et doubles, débuts sévères, congés et rentrées, orchestre de premier ordre, tailleurs et habilleuses renommés, magasins de costumes, décors et accessoires, rien n’y manque. Une galerie du palais, attenant au Cabinet des médailles, se transforme en salle de spectacle qui prend le nom de Théâtre des Petits-Cabinets ; plus tard, on voulut une salle plus grande, et on l’installa dans la cage du grand escalier des Ambassadeurs ; ce second théâtre était mobile, pouvait se défaire en quatorze heures, se rétablir en vingt-quatre. Pour être admis comme