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L'ART ET LA NATURE

PREMIERE PARTIE

L’ŒUVRE D’ART ET LE PLAISIR ESTHÉTIQUE.


I

Telle peuplade d’Afrique ou d’Amérique ne connaît pas la charrue, et connaît le tambourin, la flûte et les danses figurées. La Grèce eut de grands poètes avant de savoir écrire ; elle se nourrissait encore d’un pain grossier, et déjà elle avait des chanteurs qui la faisaient rire et pleurer ; c’était pour elle le pain de l’âme. D’un bout du monde à l’autre, l’homme n’a pas attendu d’avoir perfectionné ses industries pour créer ce qu’on appelle les beaux-arts, tant ce luxe lui semblait nécessaire. Mais auquel de ses besoins a-t-il pourvu en les créant ? A quoi peuvent-ils lui servir ? Que lui revient-il de son invention ?

Si des utilitaires conséquens pensent, sans oser toujours le dire, que les beaux-arts ne servent à rien, les ascètes, les puritains les ont plus d’une fois traités de divertissemens pernicieux. Platon, qui était un grand artiste, avait défini le poète « un être léger, ailé et sacré ; » mais quand il s’occupa d’organiser sa cité idéale, il en bannit Homère comme un empoisonneur public.