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incisions, retirer encore d’autres esquilles, et naturellement mes blessures ne se fermaient pas.

Enfin, le 5 juin, en enlevant les bandes pour le pansement journalier, je reconnus avec une agréable surprise que ma blessure était cicatrisée. Cependant je continuai de garder le lit, craignant qu’en marchant un effort ne fît rouvrir ces plaies récentes. Quelque temps après, je voulus me lever, mais il me fut impossible de marcher, même avec des béquilles. Dès que le sang se portait vers mon pied, j’étais obligé de m’asseoir et d’allonger ma jambe. Je demeurais longtemps ainsi.

J’aurais certainement succombé, si je n’avais pas été aussi bien soigné, et si l’on m’avait traité dans l’air méphitique d’un hôpital.

Pendant ces trois mois de souffrances, M. Hervin ne cessa de m’accabler d’attentions délicates et de me prodiguer les soins les plus dévoués. Il m’aimait, et me le prouvait de mille manières et avec originalité.

Quand je fus en convalescence, il venait, pour me distraire, tirer le pistolet dans ma chambre. Il apprenait à faire claquer un fouet, s’exerçait devant moi et me montrait ses progrès.

Un jour que je lui parlais de ma reconnaissance et de mes regrets de ne pouvoir probablement jamais la lui témoigner :

— Si fait, me dit-il, vous le pouvez.

Étonné, je lui dis :

— Et comment ? Parlez vite ?

— Vous avez trois choses dont je désire devenir possesseur.

— Vraiment ? Parlez donc ? ..

— —Vous avez une pièce d’or qui date du règne de la grande Catherine de Russie, je vous la demande, ainsi que votre bonnet polonais, et aussi les petits os qui ont été retirés de votre pied. Je garderai ces objets comme des souvenirs précieux.

On peut deviner le plaisir que j’éprouvai en satisfaisant sur-le-champ à cette demande.

Si le colonel Busch n’avait pas succombé à ses blessures, Hervin serait demeuré à Cadix ; maintenant que ma guérison allait lui rendre sa liberté, il désirait retourner en Angleterre. Il partit. En nous séparant, nous nous promîmes une longue et solide amitié, mais la continuation de la guerre devait nous tenir encore longtemps séparés. A mon grand regret, je ne l’ai jamais revu.

Pendant le long traitement qu’avait exigé ma blessure, mon domestique, resté au corps de siège devant Cadix, était venu me rejoindre. Il en avait obtenu la permission de l’amiral anglais, qui