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les contradictions, tour à tour exaltés ou honnis, le plus souvent défigurés avant d’être jugés pour ce qu’ils sont ! Ainsi a passé, à travers les contestations du temps, cette ère de la Restauration que les uns ont appelée une comédie de quinze ans, d’autres une revanche surannée et éphémère d’ancien régime, et qui entre par degrés aujourd’hui dans la paix de l’histoire. Pour elle, le procès est à peu près jugé, la cause est entendue, — et, du conflit semi-séculaire des opinions ou des passions, ce qui se dégage de plus en plus, c’est une époque qui a eu certainement ses incohérences, ses faiblesses, ses malheurs, mais qui reste dans le lointain du passé une des périodes les plus attachantes par la généreuse excitation des esprits, par l’expansion des idées, par l’éclat comme par la variété des talens.

C’est l’originalité historique de la Restauration d’être, — en même temps que la résurrection d’une vieille royauté presque oubliée, éclipsée par quinze années de prodiges militaires, — une sorte de réveil de vie publique, de vie morale et libérale. Ce fut aussi sa fatalité de porter en elle à sa naissance cette lutte de la France d’autrefois et de la France de la révolution, de l’esprit d’ancien régime et de l’esprit nouveau, qui devait lui être mortelle. Dès la première heure on voit commencer ce drame qui se noue dans les passions du temps pour ne plus s’interrompre, passant des premières violences de 1815 aux ministères de modération libérale de 1816-1819, revenant aux réactions de 1820-1822, — puis s’arrêtant un instant dans la trêve de 1828 pour se précipiter bientôt vers le dénoûment par le coup d’État de la royauté qui va provoquer le coup d’État populaire. Et à travers les péripéties du drame on voit aussi se dessiner cette élite d’hommes qui se forment et grandissent avec la Restauration pour disparaître presque tous avec elle : et M. de Richelieu, l’émigré revenu avec un cœur patriote et libéral, et M. Laine, avec son éloquence attendrie, un peu emphatique, de girondin de la monarchie, et M. Decazes, l’intelligent favori du prince, et M. de Serre, à l’âme généreusement vibrante, et M. de Chateaubriand, le génie inconstant du royalisme, et M. Royer-Collard, le politique doctrinaire, — plus doctrinaire que politique, — et M. de Villèle, le bon sens vivant dans un parti qui n’avait que des passions, et M. de Martignac, qu’on appela la « sirène » du parlement, — et dans un autre camp, les Manuel, les Benjamin Constant, les Foy.

De tous ces hommes qui ont passé sur la scène et qui, sans se ressembler, ont la couleur du temps, un de ceux qui ont eu le plus grand rôle est certainement ce ministre habile, ce tacticien industrieux qui parut un instant avoir fixé les destinées de la