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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/105

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LA MADONE DE BUSOWISKA.

tendait à ce qu’elle contînt quelque chose pour lui. Mais évidemment il n’y avait rien dedans à son adresse, car à peine la comtesse eut-elle terminé sa lecture, qu’elle froissa vivement la lettre, et la fourra avec impatience dans sa poche, puis, sans parler, elle creusa nerveusement le sable du bout de sa canne à pomme d’or.

Une autre fois, le peintre était encore au Labyrinthe, Nasta avait justement une lettre pour lui, ce qui était chose très rare. C’était sur le coup de midi, il était assis en face d’une étrange petite table à trois pieds, comme Nasta n’en avait jamais vu de sa vie ! Il paraissait tracer quelque chose sur un carton posé devant lui, et à chaque instant il levait les yeux, et examinait le paysage.

La matinée était admirable ; tout en bas, le Dniester, pareil à un long serpent argenté étendu nonchalamment au soleil, scintillait entre les hautes herbes. Dans le fond, les cimes bleues des Carpathes s’étageaient majestueuses, et l’air était si transparent qu’à travers la poussière d’or du soleil, on apercevait, comme sur la main, les fines crénelures des Beskides, dont les dernières chaînes atteignent la frontière hongroise.

Discrètement abritée par les sapins, Nasta se rapprocha sur la pointe de ses pieds nus, et ayant avancé la tête, elle aperçut avec surprise, sur le papier posé là, le même ciel bleu qu’on voyait là-haut, les mêmes montagnes vertes, le même fleuve argenté qui contournait les remparts de Staromiasta, et jusqu’au sapin noir planté près de la cabane de Zaberez.

Était-il possible que, sur une simple feuille de papier, si petite que le vieux chapeau de paille de Wasylek l’eût aisément recouverte en entier, on pût mettre tout un pays !

Et son effarement était tel, qu’elle se prit la tête à deux mains, en poussant une exclamation.

M. Sigismond se retourna vivement, et la pauvre femme, craignant de l’avoir mécontenté, se hâta de lui présenter la missive. Il sourit doucement, prit la lettre, et remercia d’un signe de tète ; cependant comme elle ne s’en allait pas, il crut comprendre qu’elle attendait une gratification, et tira quelques pièces de sa poche, mais ce geste ne fit que l’éloigner davantage.

Tout à coup, un éclair traversa l’esprit de Nasta, oui, une occasion pareille ne se représenterait plus jamais de sa vie. Résolument elle se jeta donc aux genoux du peintre, lui embrassa les pieds et les mains, en murmurant qu’elle avait une grande faveur à lui demander.

C’était toujours le premier mot qui coûtait le plus à Nasta. Une fois en train, le courage lui revenait vite, d’autant plus que le visage de M. Sigismond n’exprimait aucune impatience.

Sans préambule donc, et avec beaucoup plus de clarté que