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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/108

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REVUE DES DEUX MONDES.

done merveilleuse qui lui faisait l’effet d’une créature vivante, fût sa propriété ? La réalité dépassait tellement le rêve qu’elle n’en pouvait croire ses yeux.

Il était donc atteint, ce but inaccessible caressé si longtemps ! Désormais glorieuse fondatorka, elle allait pouvoir perpétuer à jamais le nom et le souvenir de son Wasylek, saisir le fil mystérieux qui allait l’unir, elle, pauvre délaissée ici-bas, avec l’enfant mort, enrôlé dans les milices du paradis.

Et à cette pensée, la joie, la reconnaissance, gonflèrent si fort le cœur de la malheureuse qu’elle fondit en larmes et, bouche béante, les mains jointes, les yeux tournés vers le jeune homme qui souriait, elle restait là incapable de dire avec des mots l’émotion indicible qui l’étreignait.

V.

Tandis que Nasta, ravie au septième ciel, attendait discrètement le jour où elle pourrait offrir son tableau à la paroisse, la cerkiew entreprise par Klymaszko s’achevait avec succès.

Sur l’azur intense du ciel, les coupoles grecques, boursouflées, du petit temple se détachaient légères, comme des ballons prêts à s’envoler ; et, n’étaient les poutres gigantesques qui les retenaient au sol, on eût dit que le moindre coup de vent allait les faire disparaître.

A la hauteur du premier étage, les attaches délicates des galeries circulaires se rejoignaient, pareilles à des dentelles. Et c’est là seulement que l’édifice, puissamment soutenu par des solives séculaires, commençait à prendre son essor, non point en fusée, comme dans les flèches gothiques, mais horizontalement, d’abord, se déployant en auvens superposés afin d’abriter le plus grand nombre de fidèles. Et cette construction faisait songer au vol graduel et non interrompu de quelque oiseau gigantesque dont les larges ailes planeraient d’étage en étage, d’auvent en auvent, de toit en toit, pour arriver enfin au sommet de la coupole finale.

Toutes les cerkiews de Klymaszko avaient la même légèreté, le même ensemble à la fois original et gracieux ; aussi la commune de Busowiska, qui s’était d’abord tant fait tirer l’oreille pour voter sa construction, était-elle dans l’enchantement. Et il n’était bruit dans le village que des générosités dont chaque habitant allait combler l’église nouvelle. L’un promettait de faire don d’une cloche, un autre d’un autel, un troisième de candélabres.

Comme tout cela n’était encore que paroles en l’air, il fut convenu qu’on se réunirait un certain jour de la semaine dans la nouvelle église et que là, vis-à-vis des autorités, chacun déclarerait ce qu’il avait l’intention d’offrir et signerait.