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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/113

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LA MADONE DE BUSOWISKA.

— Je veux offrir tout un autel, répéta Nasta.

— Tout un autel ? Mais tu ne sais pas sans doute à quoi tu t’engages et combien cela sous-entend de choses !.. Il faut d’abord une icône, ensuite des chandeliers... puis des dorures !..

— Je donnerai l’icône, dit tranquillement Nasta, une belle grande madone, toute peinte,.. et pour le reste... je signerai !..

En disant ces mots, elle déposa sur la table un petit sac crasseux, puis, sans prendre le temps de s’expliquer davantage ni sans saluer les membres de la fabrique, elle tourna rapidement les talons, se faufila à travers la foule et s’esquiva.

Elle courut longtemps, longtemps, toujours poursuivie par les appels moqueurs et les chuchotemens des paysans, qui avaient essayé de la retenir, et ne s’arrêta qu’à l’extrémité du village, quand elle eut atteint sa noire cabane en ruine, son verger abandonné et sa source murmurante.

Cependant le pope s’était emparé du petit sac, et avec un étonnement grandissant, il en vidait le contenu sur la table : c’étaient tous florins, en papier-monnaie, sales, froissés, déchirés même. Un à un il les déploya avec soin, et se mit à compter, mais plus il avançait dans sa besogne, plus sa stupéfaction et celle de la commune entière augmentaient.

Cinq, dix, quinze !.. et ce n’était pas tout !.. vingt, vingt-cinq, trente !.. Il y en avait encore !.. trente, trente-cinq, quarante !.. quarante et un !.. cette fois, c’était bien tout !..

Quarante et un florins d’Autriche ! Le bon prêtre n’en croyait pas ses yeux, et les paysans stupéfaits demeuraient autour de lui, bouche bée, tandis que le greffier plongeait si précipitamment sa plume dans l’encrier, qu’il couvrait de pâtés énormes la feuille gouvernementale.

Tout ému, et les yeux humides, le pope profita de cette circonstance unique pour s’adresser au cœur de ses ouailles, et sa voix très douce était encore plus tendre que de coutume. Il rappela le denier de la veuve, plus agréable à Dieu que toute autre offrande,.. et il ajouta que le sacrifice de Nasta devait servir d’exemple à tout le village, car, ajouta-t-il, bien certainement aujourd’hui les anges se réjouissent à cause d’elle au paradis !

Cette petite allocution impressionna profondément les paysans ; les uns se frappaient la poitrine avec componction, tandis que les autres courbaient le front dans la poussière.

Quand le prêtre eut cessé de parler, l’un d’entre eux traversa la foule en tortillant son chapeau entre ses mains, il était rouge comme un coq, salua gauchement les autorités et déclara que la sonnette qu’il avait « signée » serait peut-être un peu grosse pour être prise en main,.. qu’il vaudrait aussi bien mettre tout de suite