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REVUE DES DEUX MONDES.

C’était une escouade revenant de la ville que Sorok avait rencontrée par hasard, et à laquelle il s’était hâté de demander secours.

La vue menaçante de la force armée ne produisit pas sur les paysans son effet habituel, et, loin de s’enfuir, ils se serrèrent au contraire les uns contre les autres autour du tableau, et attendirent d’un pied ferme, tandis que Nasta, comme une tigresse furieuse, se jetait en avant, la hache levée. Une grêle de pierres, dont s’étaient armés les plus jeunes de la bande, reçut les gendarmes à leur arrivée, puis, sans s’inquiéter davantage d’eux, les paysans chargèrent le tableau sur leurs épaules et se remirent paisiblement en route.

A cette vue, les gendarmes, rendus furieux par la pluie de cailloux qui les avait assaillis, voulurent leur barrer le passage ; mais à ce moment, Nasta, avec une adresse d’Indien, leur lança à la tête sa hache, qui vint raser en sifflant le visage d’un d’entre eux, effleura son casque et tomba à ses pieds. Ce fut le signal du tumulte. Une balle répondit à cette agression, et on entendit le bruit sourd de la chute d’un corps.

C’était Nasta, atteinte par la balle d’un gendarme.

A la vue du sang, les paysans se jetèrent avec rage sur les soldats, qui n’échappèrent à la mort qu’en se sauvant dans le presbytère.

Débarrassés enfin de toute entrave, les vainqueurs reformèrent leurs rangs, et se mirent en marche pour rentrer dans leurs foyers.

Nasta essaya de se soulever, mais en vain. Des bras vigoureux l’enlevèrent aussitôt, tandis que le tableau, porté en triomphe par deux femmes, dominait la foule comme un étendard.

Makohon entonna alors le cantique : « Vierge immaculée, » que tous répétèrent en chœur, et c’est ainsi que le cortège se dirigea comme une procession triomphale vers Busowiska.

A la vue de cette foule recueillie, et en entendant ces hymnes pieuses, les paysans commencèrent à accourir des champs et de l’intérieur des cabanes, et se mêlèrent à la procession, qui finit par prendre des proportions imposantes.

Les cantiques répétés ainsi par des centaines de voix montaient solennellement vers le ciel, et allaient ensuite se répercuter dans les vallées profondes du Dniester.

Arrivée enfin devant l’église de Busowiska, la procession s’arrêta, mais quand on voulut mettre debout la glorieuse fondatorka,.. on s’aperçut qu’elle ne vivait plus...

L. Lozinski.

(Adapté par Mme Marguerite Poradowska.)