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proposition ses applications pratiques, afin qu’une telle science ne soit pas inutile. » Mais il reconnaît bientôt que ce plan est défectueux, qu’à mêler ainsi la théorie et la pratique, on s’expose à de perpétuelles redites, et il conclut à faire deux traités distincts en renvoyant des applications aux vérités théoriques qui les justifient. Jamais il ne méconnaît ce rapport de dépendance de l’action à la connaissance, a Le traité de la science mécanique doit précéder le traité des inventions utiles (giovamenti). » Qui sait la cause peut poser l’effet : la puissance fait la preuve de la science.


V

C’est à la lumière de cette conception toute moderne de la science et de la méthode que Léonard, comme Bacon, juge et condamne toutes les fausses sciences de son temps. D’abord la scolastique, la science officielle des universités et de l’église, la science des dialecticiens pris dans les fils de leurs syllogismes. « S’il faut les en croire, est mécanique la connaissance qui naît de l’expérience, scientifique celle qui naît et finit dans l’esprit, semi-mécanique celle qui naît de la science et finit dans l’opération manuelle. Mais il me paraît à moi que ces sciences sont vaines et pleines d’erreurs qui ne sont pas nées de l’expérience, mère de toute certitude, et qui ne se terminent pas en une expérience définie (che non terminano in nota experientia), c’est-à-dire dont le principe, le milieu ou la fin ne passe par l’un des cinq sens. » De même Bacon nous montre les scolastiques, dédaigneux de l’expérience « qui occupe l’esprit de choses basses et périssables : » semblables à l’araignée qui forme sa toile de sa propre substance, avec une petite quantité de fil, par la perpétuelle agitation de leur esprit, qui va et revient sans fin à la façon d’une navette, ils fabriquent le tissu embrouillé de leurs livres. Au même mal, Léonard et Bacon opposent le même remède : le contrôle des faits. « Fuis les préceptes de ces spéculateurs qui ne confirment pas leurs raisonnemens par l’expérience, » et encore : « Je te rappelle que tu fasses tes propositions et que tu démontres les choses précédemment écrites par exemples et non par affirmations (propositioni), ce qui serait par trop simple, et tu diras ainsi : expérience…[1]. »

Léonard de Vinci ne se contente pas d’attaquer la scolastique, il

  1. A, 31 r°. — Bacon, De dign. et augm. soient. Distrib. de l’ouvrage. Cf. Tratt. della P., § 1er : « Et si tu dis que les sciences qui commencent et finissent dans l’esprit ont vérité, cela ne se peut accorder, mais se nie par maintes raisons, et avant tout parce que dans de tels raisonnemens tout mentaux (in tali discorsi mentali) n’intervient pas l’expérience, sans laquelle il n’y a pas de certitude. »