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la fureur de quelques énergumènes, et il n’avait été sauvé que par sa jeunesse, par les sympathies d’une population humaine et douce qui répugnait aux violences. Encore quelques années, l’élève de marine, dégagé du service, s’était trouvé établi à Bourbon, aimé et recherché de tout le monde, propriétaire d’une vaste exploitation, allié par un mariage à une des principales familles créoles, la famille Desbassyns, — et de plus appelé à figurer avec succès dans l’assemblée coloniale. Il ne se doutait pas que, dans cette petite assemblée d’une petite île lointaine, il faisait son premier apprentissage de politique, il apprenait à manier les hommes dans un parlement ! Il était entré vivement dans son rôle, défendant avec autant de ténacité que de tact, avec autant de résolution que d’adresse, les intérêts du pays contre les décrets ruineux de la Convention et contre ceux qui ne parlaient de rien moins que de s’affranchir de la métropole, d’invoquer la protection anglaise. Il avait réussi ; il s’était montré du premier coup homme d’affaires plein de ressources et bon Français en déjouant les manœuvres séparatistes, en contribuant plus que tout autre à conserver à la France deux de ses plus belles colonies. Il avait défendu le terrain pied à pied jusqu’à l’arrivée du général Decaen, envoyé en 1802 par le premier consul. Cela fait, il s’était hâté de s’effacer, « dégoûté, comme il l’a dit, des affaires publiques, » préférant au « fatras politique » l’obscurité de la vie agricole et du foyer. M. de Villèle a toujours été de ceux qui n’ont cessé de parler de leur goût pour l’obscurité, à mesure qu’ils ont grandi !

Ce n’est qu’en 1807, en plein empire, qu’il s’était décidé à revenir dans son pays natal, à Toulouse, où il avait retrouvé sa famille tout entière. Il avait quitté la France, dix-neuf ans auparavant, pressentant à peine les orages qui allaient emporter la monarchie et l’ancienne société française ; il la revoyait singulièrement changée, transformée par la révolution et pacifiée sous un gouvernement tout-puissant, imposant, mais déjà entraîné par l’enivrement des prodiges militaires. Il s’était établi dans un domaine de famille qui a toujours eu depuis ses prédilections, à Morvilles, où l’empire, attentif à engager pour sa cause les propriétaires, les hommes intelligens, n’avait pas tardé à aller le chercher pour faire de lui un maire de sa petite commune et un représentant de son canton au conseil-général de la Haute-Garonne. Il n’avait pas brigué ces modestes fonctions, il n’était pas homme à en décliner les devoirs. Si petites qu’elles fussent, il s’en servait pour la protection de ceux qu’il représentait, pour la défense des intérêts locaux au conseil-général, où il avait pris rapidement de l’influence ; il les avait si bien prises au sérieux qu’au déclin de