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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/154

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LE POISON


I

Ce fut une grande surprise, au Palais, quand, l’affaire Morisset ayant été confiée à maître Daguerre, on le vit tout à coup se passionner, s’enfiévrer de jour en jour, comme à ses débuts.

L’affaire, pourtant, était très simple : Marie Morisset, avec la complicité d’un amant, avait empoisonné son mari. Le crime était évident, dénoncé par les faits ; et, si l’amant était en fuite, la jeune femme, du moins, n’avait pas essayé de nier ; elle avait tout avoué, sans réticence.

Mais ce qui intéressait Daguerre, justement, c’était la tranquillité singulière de ces aveux. Et l’attitude aussi de la femme, pendant l’instruction, était extraordinaire.

Depuis dix années qu’il plaidait et qu’il se penchait, dans l’agonie des défenses désespérées, sur les fonds obscurs des âmes, toujours il avait vu les femmes, soit par un instinct naturel des duplicités, soit par une pudeur de mettre à nu leur cœur, soit peut-être parce qu’une puissance d’imagination singulière transpose et défigure, à leurs yeux, leurs propres actes, jouer d’inextricables comédies et mentir, même à leur avocat. Le défenseur devait se débrouiller au milieu de l’écheveau confus de leurs dires contradictoires, pénétrer la vérité presque malgré elles, ainsi qu’un médecin diagnostiquant une maladie nerveuse.