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autre genre peut-être, mais assurément aussi empressé que flatteur. La reine Victoria elle-même, comme si elle avait voulu reconnaître gracieusement l’hospitalité attentionnée qu’elle trouve toujours dans ses passages ou ses stations en France, la reine a été la première à donner l’exemple de la courtoisie. Si ce n’est elle qui a eu l’initiative de cette réception et de ces fêtes, elle a mis visiblement un soin particulier à en rehausser l’éclat. Elle ne s’est pas contentée de passer en revue les cuirassés français, elle a tenu à réunir à Osborne, dans un banquet, les chefs de notre armée navale accompagnés de notre ambassadeur, et par une dérogation flatteuse à l’étiquette de la table royale, un toast a été porté à M. le président Carnot en même temps qu’à la reine. Comme l’empereur de Russie, la souveraine anglaise a entendu debout la Marseillaise alternant avec le God save the Queen ! Sauf le prince de Galles qui était absent, les autres princes anglais, le duc de Cambridge, le duc de Connaught, ont secondé de leur mieux les intentions de la reine. Le premier lord de l’amirauté, lord George Hamilton, les amiraux Clanwilliam et Fisher, le maire de Portsmouth, ont rivalisé de bonne grâce empressée dans l’accueil fait à notre escadre. Rien n’a manqué, ni les ovations populaires, ni les banquets, ni les témoignages d’estime et de sympathie, ni les échanges de cordialités entre marins, ni même le message de la reine Victoria à M. le président de la république, faisant suite au message de l’empereur Alexandre III. C’est parfait de ton, de correction et d’apparence !

La question serait de savoir quelle est la vraie signification de cet accueil exceptionnel fait à l’escadre française dans les eaux anglaises. C’est peut-être assez compliqué avec un peuple qui ne se livre pas aisément à des démonstrations inutiles ou de simple fantaisie. D’après ce qu’il semble, l’Angleterre n’avait pas songé d’abord à provoquer cette visite ; rien n’indique du moins qu’elle eût exprimé à notre gouvernement le désir de recevoir nos navires. Elle n’aurait eu cette pensée qu’après la réception de Cronstadt, après les manifestations passionnées, significatives, qui ont éclaté en Russie. Serait-ce dès lors un vulgaire calcul de la part des Anglais, qui auraient cru habile et utile de dérouter l’opinion, d’atténuer l’effet des démonstrations russes en opposant à l’éclat de la réception de Cronstadt l’éclat de leur réception à Portsmouth et à Osborne ? Ce serait presque une puérilité. Les Anglais sont trop sérieux et trop pratiques pour avoir cru un instant qu’avec quelques politesses ils pouvaient donner le change sur un événement qui, dans l’esprit de deux grandes nations et dans l’état de l’Europe, a une évidente portée politique. De plus, pour une simple tactique de circonstance, on aurait peut-être un peu abusé de la reine, qui est visiblement sortie de sa réserve ordinaire et n’a point hésité à