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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/28

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n’admettaient ni trêve ni merci dans la guerre implacable qu’ils poursuivaient contre des ministères ennemis. Ils ne demandaient pas à M. Decazes des concessions, ils ne lui demandaient que de s’en aller. Ils prétendaient arracher de haute lutte au roi son favori, aux libéraux un complice, un protecteur d’autant plus dangereux qu’ils le savaient habile, fertile en expédiens, puissant auprès du souverain. Avec M. Decazes, c’était la guerre à outrance. Contre lui, tous les moyens étaient bons pour des adversaires sans scrupule. Ils avaient même, disait-on, contribué à l’élection de Grégoire dans l’espoir de pousser à bout le roi et d’embarrasser le gouvernement. Il y avait aussi les royalistes plus mesurés, qui, en restant fidèles à la cause, se défendaient de faire de la politique avec leurs colères, évitaient d’offenser le roi et de tout pousser à l’extrême, ménageaient des ministres comme M. Lainé ou M. de Richelieu, et ne refusaient pas de se prêter aux transactions qui leur sembleraient possibles ou utiles. M. de Villèle avait toujours été de ceux-ci. Il n’était un ultra que de nom. Tempérament politique, esprit pratique et sensé, il s’épuisait à résister aux emportemens de ceux qu’il appelait les « camarades, » à réprimer leurs violences et à détourner leurs coups de tête. Plus on allait, plus les dissentimens devenaient vifs, et une des curiosités du temps est certainement la position de M. de Villèle dans cette armée royaliste dont il était le chef, souvent subi avec impatience, assailli de contestations intimes, mais en définitive toujours reconnu.

C’est par le fait dans son propre parti que M. de Villèle rencontrait le plus de défiances et même parfois de soupçons injurieux. On l’accusait tour à tour d’ambition, de faiblesse, si ce n’est de trahison. Un de ses amis toulousains, royaliste ardent, écrivait à Mme de Rémusat : — « Il a la tête tournée, non des triomphes de Toulouse, qu’il dédaigne, mais de ceux de Paris. Le titre de chef de l’opposition l’enivre. Il n’épargnera rien pour le conserver ; toutes les opinions lui seront bonnes pourvu qu’il y parvienne… » — Une autre fois, c’était au désir d’être ministre qu’on l’accusait de tout sacrifier ! Mme de La Trémoille, dont le salon était le rendez-vous des « ultras, » et qui avait beaucoup aimé, disait-elle, M. de Villèle, se lamentait de son influence et de sa défection, qu’elle attribuait tout simplement à une impatience de pouvoir. — « Qui voulez-vous au ministère, disait-on à MM. de Sallaberry, de La Bourdonnaye et Castelbajac, les hérauts bruyans des ultras, voulez-vous M. de Richelieu ? — Fi donc, répondaient-ils, il a fait le 5 septembre. — Et M. Lainé ? — C’est un révolutionnaire. — Et Villèle ? — Nous n’y comptons plus, il nous trahit depuis quelque temps… » — Et les journaux du parti parlaient avec