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La brigade Castex resta seule dans Borisof, avec défense de communiquer avec les autres corps, auxquels on voulait cacher aussi longtemps que possible la fatale nouvelle de l’embrasement du pont, qu’ils n’apprirent que quarante-huit heures plus tard.

D’après les usages de la guerre, les bagages de l’ennemi appartiennent aux capteurs. Le général Castex autorisa donc les chasseurs de mon régiment et ceux du 24e à s’emparer du butin contenu dans les quinze cents voitures, fourgons et chariots que les Russes avaient abandonnés en fuyant au-delà du pont. Le butin fut immense. Mais comme il y en avait cent fois plus que la brigade n’aurait pu en porter, je réunis tous les hommes de mon régiment et leur fis comprendre qu’ayant à faire une longue retraite, pendant laquelle il me serait à peu près impossible de leur continuer les distributions de viande que je leur avais fait faire pendant toute la campagne, je les engageais à s’attacher principalement à se munir de vivres, et j’ajoutai qu’ils devaient aussi songer à se garantir du froid et ne pas oublier que des chevaux surchargés ne duraient pas longtemps ; qu’il ne fallait donc pas accabler les leurs sous le poids d’une quantité de choses inutiles à la guerre ; qu’au surplus, je passerais une revue, et que tout ce qui ne serait pas vivres, chaussure et vêtemens serait impitoyablement rejeté. Le général Castex, afin de prévenir toute discussion, avait fait planter des jalons qui divisaient en deux portions l’immense quantité de voitures prises. Chaque régiment avait son quartier.

Le corps d’armée du maréchal Oudinot, environnant trois côtés de la ville, dont le quatrième couvert par la Bérésina, était en outre observé par divers postes, les soldats pouvaient se livrer avec sécurité à l’examen du contenu des voitures et chariots russes. Aussitôt le signal donné, l’investigation commença. Il paraît que les officiers du corps de Tchitchakof se traitaient bien, car jamais on ne vit dans les équipages d’une armée une telle profusion de jambons, pâtés, cervelas, poissons, viandes fumées et vins de toutes sortes, plus une immense quantité de biscuits de mer, riz, fromage, etc. Nos soldats profitèrent aussi des nombreuses fourrures, ainsi que des fortes chaussures trouvées dans les fourgons russes, dont la capture sauva ainsi la vie à bien des hommes. Les conducteurs ennemis, s’étant enfuis sans avoir eu le temps d’emmener leurs chevaux, qui étaient presque tous bons, nous choisîmes les meilleurs pour remplacer ceux dont nos cavaliers se plaignaient. Les officiers en prirent aussi pour porter les vivres dont chacun venait de faire si ample provision.

La brigade passa encore la journée du 24 dans Borisof, et comme, malgré les précautions prises la veille, la nouvelle de la rupture du pont avait pénétré dans les bivouacs du 2e corps, le maréchal