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l’ordre qu’il prétendait avoir de garder sa brigade auprès de lui. Le comte de Wrède n’ayant pu satisfaire à cette demande, le général Corbineau se sépara de lui, gagna vers Dockchtsoni les sources de la Bérésina, puis, longeant sa rive droite, il espérait atteindre Borisof, y passer la rivière sur le pont et, prenant la route d’Orscha, aller au-devant du corps d’Oudinot, qu’il supposait être dans les environs de Bobr.

On a reproché à l’empereur, qui avait plusieurs milliers de Polonais du duché de Varsovie, de n’en avoir pas, dès le commencement de la campagne, placé quelques-uns comme interprètes auprès de chaque officier-général et même de chaque colonel, car cette sage mesure aurait fait éviter bien des erreurs et rendu le service infiniment plus exact. On en eut la preuve dans la périlleuse course de plusieurs jours que la brigade Corbineau fut obligée de faire dans un pays nouveau pour elle, dont aucun Français ne connaissait la langue ; car fort heureusement, parmi les trois régimens commandés par ce général, se trouvait le 8e de lanciers polonais, dont les officiers tiraient des habitans tous les renseignemens nécessaires. Cet avantage immense servit merveilleusement Corbineau.

En effet, comme il était parvenu à une demi-journée de Borisof, des paysans russes ayant informé ses lanciers polonais que l’armée russe de Tchitchakof occupait cette ville, Corbineau désespérait de parvenir à traverser la Bérésina, lorsque ces mêmes paysans, l’engageant à rétrograder, conduisirent sa colonne en face de Studianka, petit village situé non loin de Weselowo, à quatre lieues en amont de Borisof, et devant lequel se trouvait un gué. Les trois régimens de cavalerie de Corbineau le traversèrent sans pertes, et ce général se dirigeant ensuite à travers champs, en évitant habilement d’approcher de Borisof, de même que des troupes de Wittgenstein établies à Roghatka, passa entre deux et rejoignit enfin le maréchal Oudinot, le 23 au soir, près de Natscha.

La marche hardie que venait de faire Corbineau fut glorieuse pour lui et on ne peut plus heureuse pour l’armée, car l’empereur, ayant reconnu l’impossibilité physique de rétablir promptement le pont de Borisof, résolut, après en avoir conféré avec Corbineau, d’aller traverser la Bérésina à Studianka. Mais comme Tchitchakof, informé du passage de la brigade Corbineau sur ce point, venait d’envoyer une forte division et beaucoup d’artillerie en face de Studianka, Napoléon employa pour tromper l’ennemi une ruse de guerre qui, bien que fort ancienne, réussit presque toujours. Il feignit de n’avoir pas de projet sur Studianka et de vouloir profiter