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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/303

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les Russes s’approcher du pont, il le fit aussi incendier ! .. Quelques milliers de malheureux restés devant Studianka tombèrent aux mains de Wittgenstein.

Ainsi se termina le plus horrible épisode de la campagne de Russie ! Cet événement eût été bien moins funeste si l’on eût su et voulu employer le temps que nous avaient laissé les Russes depuis notre arrivée devant la Bérésina. L’armée perdit dans ce passage 20 à 25,000 hommes.


II

La Bérésina franchie, la masse des isolés échappés à cet affreux désastre était encore immense. On la fit évacuer sur Zembin. L’empereur et la garde suivirent. Venaient ensuite les débris de quelques régimens et enfin le 2e corps dont la brigade Castex faisait l’extrême arrière-garde.

J’ai déjà dit que la route de Zembin, la seule voie qui nous restât, traverse un immense marais, au moyen d’un très grand nombre de ponts que Tchitchakof avait négligé de brûler, lorsque peu de jours avant, il occupait cette position. Nous ne commîmes pas une pareille faute, car après le passage de l’armée, le 24e de chasseurs et mon régiment y mirent aisément le feu avec des joncs secs entassés dans le voisinage.

En ordonnant de brûler les ponts de Zembin, l’empereur avait espéré se débarrasser pour longtemps de la poursuite des Russes, mais il était écrit que toutes les chances nous seraient contraires ! .. En effet, la gelée qui, à cette époque de l’année, aurait dû transformer en un chemin facile les eaux de la Bérésina, leur avait laissé presque toute leur fluidité quand nous devions les traverser ; mais à peine les eûmes-nous franchies, qu’un froid rigoureux vint les geler au point de les rendre assez solides pour porter du canon ! .. Et comme il en fut de même de celles du marais de Zembin, l’incendie des ponts ne nous fut d’aucune utilité[1]. Les trois armées russes que nous avions laissées derrière nous purent, sans obstacle, se mettre à notre poursuite ; mais fort heureusement elle fut peu vigoureuse. D’ailleurs, le maréchal Ney qui commandait l’arrière-garde française, ayant réuni tout ce qui était encore en état de combattre, faisait de fréquens retours offensifs sur les ennemis lorsqu’ils osaient approcher de trop près.

Depuis que le maréchal Oudinot et le général Legrand avaient été blessés, le général Maison commandait le 2e corps, qui, se

  1. Dans ses Mémoires, Tchitchakof trouve dans ce fait une excuse à sa négligence.