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l’entrée d’un des préaux, un opérateur distribue ses drogues sous forme de paquets contenant des plaisanteries innocentes ; vis-à-vis de l’opérateur, un docteur dans une chaire sur laquelle étaient posées les balances merveilleuses du mérite. On y pesait les ouvrages des auteurs anciens ou modernes, et le poids servait à déterminer leur mérite : Collé avait glissé du plomb dans la couverture d’un petit Virgile qui, de la sorte, valait plus à lui seul que le Tasse, Télémaque, la Henriade et le Paradis perdu. Un petit Cinna pesait plus que tout le théâtre des Grecs, une École des maris plus que cinq volumes de Regnard, cinq de Destouches et de La Chaussée. Collé ne perdait pas une occasion de marquer ses préférences et ses antipathies littéraires.

On trouvait ensuite huit boutiques pareilles à celles des petites foires parisiennes, où les plus jolies femmes de chambre et des laquais appelaient le client en imitant les bonimens des marchands ; chacune portait un écriteau illuminé, décoré d’attributs et d’inscriptions. En voici la distribution : 1re boutique à droite : cabaret du Parnasse. A l’enseigne du cocher de M. de Verthamont, vin d’hippocrène à la glace, etc. — lre à gauche : café du Parnasse, eau glacée du sacré vallon, comédies à la glace, tragédies froides et toutes sortes d’autres rafraîchissemens. — 2e à droite : magasin d’hyperboles et de mensonges ; le sieur de Léthargie, poète suivant la cour, compose des odes à la louange de tout le monde. — 2e à gauche : magasin d’amphigouris. Le sieur Galimatias, Allemand, fait tous les opéras nouveaux, les tragédies d’été. — 3e à droite : magasin de fadeurs ; Mlle Fadasse, marchande de madrigaux et de pain d’épices, de bouquets pour Iris, etc. — 3e à gauche : la veuve du sieur de Profundis fait et vend toutes sortes d’épitaphes à la dernière mode et des épithalames pour les mariages. — 4e à droite : magasin d’ordures ; le sieur Libertini, Italien, fabrique des contes plus forts que ceux de La Fontaine et des épigrammes à la Rousseau. — 4e à gauche : le sieur Roué (Roy), poète satirique, fait et vend des épigrammes au feu d’enfer, du sublimé corrosif et toutes sortes de libelles diffamatoires. — Collé avait composé force chansons, vaudevilles plus ou moins grivois, bouquets, contes, stances que les initiés de la compagnie débitaient alternativement devant chaque boutique. La fête se termina par une parade affichée en ces termes au bas de la loge des danseurs de corde : « la grande troupe des danseurs, sauteurs et voltigeurs du Bas-Parnasse, qui a ennuyé les neuf sœurs et fait bâiller Apollon lui-même avec un succès si prodigieux, ouvrira son théâtre par la première représentation d’Isabelle précepteur. » Inutile d’ajouter que les préceptes d’Isabelle n’avaient pas grands rapports avec la morale.

On pourrait dire de Laujon que sa vie fournit un argument en