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toujours inassouvie du nouveau, a marqué la plupart des grands progrès de l’esprit humain.

Dès les premières agitations religieuses qui troublèrent l’Allemagne, Charles-Quint eut le sentiment du danger que la vieille société allait courir. Il se déclara sans hésiter l’adversaire résolu des adeptes de « la nouvelle lumière. » La contagion gagnait rapidement les Pays-Bas. En 1522, François Van der Hulst, investi des redoutables fonctions d’inquisiteur, fut chargé d’arrêter le fléau dans sa marche. Les efforts de Van der Hulst parurent pendant quelque temps couronnés de succès. Comprimé à la surface, le mouvement religieux cheminait sous terre. En 1530, il fait explosion ; les anabaptistes entrent en scène. Une armée de fanatiques s’est emparée en 1534 de Munster ; un tailleur de Leyde, Jan Bockelson, est devenu le chef du « nouveau royaume de Sion. » Triomphe éphémère presque aussitôt noyé dans le sang.

Ce qui caractérise cette époque en travail, c’est surtout la piété agressive où revit le vieil esprit des Hébreux. Le Dieu des Machabées est devenu le seul Dieu que la rébellion invoque ; de modernes prophètes voueront au feu du ciel la pompe mondaine devant laquelle une société corrompue s’incline. Le culte des lettres antiques avait eu pour premier résultat d’incliner le catholicisme à un scepticisme indulgent. La réforme n’est pas sceptique : elle croit à la Bible et se soucie peu de Platon ou d’Aristote. Ce n’est point la raison qui revendique ici son empire, c’est l’érudition qui prétend reprendre, par une plus saine interprétation des textes sacrés, le gouvernement de l’esprit humain. La nouvelle doctrine ne connaît pas le doute ; tout à l’heure elle consentait encore à discuter, maintenant elle affirme. Les colloques ont fait place aux prédications, les prédications au combat. Les psaumes de Marot ne sont plus qu’un chant de guerre. Le peuple élu, flambeau et armes en mains, marche d’un pas ferme à la conquête de la terre promise.

Par quels sentiers étroits, grand Dieu ! il prétend y arriver. Le fanatisme de Philippe II se montrera-t-il beaucoup plus exclusif, beaucoup plus intolérant, que celui des sectaires prêts à monter sans doute intrépidement sur le bûcher, également prêts, hélas ! à y faire monter les autres ? La poursuite est puérile, la poursuite est implacable. Et pourtant de ces aspirations rétrogrades qui ont pris soudain possession de tout un peuple, naît bientôt, de désordres en désordres, de folies sanglantes en folies ridicules, une civilisation infiniment supérieure à celle que nous préparait le détachement religieux du saint-siège. Tant il est vrai que croire c’est revenir à la vie, tant il est vrai surtout qu’on ne s’efforcera