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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/364

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encore tout sauver. Il ne se montra jamais partisan de la politique du désespoir. Déjà, au mois d’octobre 1560, il avait eu le courage de représenter au roi la nécessité de céder au vœu le plus ardent, le plus énergiquement renouvelé des Pays-Bas, en leur accordant le rappel en Espagne des troupes espagnoles : — « Le cœur me saigne, disait-il, quand je songe que cette belle infanterie va nous quitter, mais 3,000 ou 4,000 soldats ne suffiraient pas pour contenir les provinces et le trésor royal n’a pas même le moyen de payer une compagnie. » — Avec son flair subtil, Granvelle n’aurait probablement pas reculé devant certaines concessions ; il n’en pouvait faire ou conseiller sans s’exposer à devenir suspect aux passions froidement exaltées du monarque. S’il pesait sur les Flandres, l’Inquisition pesait également sur lui. Tout avait paru juste contre les Maures ; les mêmes rigueurs pouvaient-elles s’appliquer sans inconvénient aux hérétiques ? Granvelle, au fond, ne le pensait pas ; il se voyait contraint d’agir comme s’il le pensait.

Le 27 avril 1562, deux ministres de l’Évangile, Faveau et Mallart, condamnés depuis plusieurs mois pour infraction notoire aux édits de 1550, épargnés cependant jusque-là par une magistrature hésitante, sont, d’après l’ordre formel et sans réplique du cardinal, conduits au bûcher qu’on vient de dresser sur la grande place de Valenciennes. Une émeute habilement concertée délivre ces malheureux au moment où la flamme commence à les envelopper. Le peuple entier se prête à favoriser leur fuite. Deux jours après, les troupes de Berghen et de Bossu entrent dans la ville. Hommes et femmes remplissent à l’instant les prisons. Le 16 mai, la majesté royale est vengée ; des centaines de victimes ont expié, les unes sur l’échafaud, les autres sur le bûcher, l’insolent succès d’un moment.

Force reste à la loi. Seulement, depuis longtemps odieux à la noblesse, Granvelle est devenu dès ce jour le point de mire de toutes les chansons, le principal objet de l’exécration populaire. L’orage qui grondait se concentre avec une rapidité redoutable au-dessus de sa tête. Granvelle reconnaît sans peine la gravité du mouvement. Ce ne sont plus des mécontentemens isolés qu’il s’agit de conjurer, c’est une révolution menaçante dont il faut retarder l’éclat par un sacrifice encore possible. D’accord en secret avec Philippe II, le cardinal renonce à la lutte, et sans bruit, sans folle terreur non plus, bat prudemment en retraite. Le 13 mai 1564, il sort des Pays-Bas. Les loups ont maintenant la partie belle ; ils ont commencé par obtenir, il y a trois ans, l’éloignement des chiens ; aujourd’hui, c’est la retraite du berger lui-même qu’on leur concède. Toutes les révolutions ont suivi le même chemin : on