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ce jour-là quittèrent Anvers. Un long gémissement parcourait la ioule. En Flandre aussi l’alarme était grande. Le peuple avait peur partout. Chacun se sentait persécuté, parce qu’il ne voulait pas adorer Bel. La duchesse de Parme a aiguisé ses dents sanglantes, avec tous ses rusés gens d’armes qu’elle pousse en avant contre les chrétiens. Le comte d’Egmont, — notez bien ceci, — a conduit par sa perfidie les gueux dans le filet. Il combattait pour les églises catholiques. On peut le comparer au vieux roi Saül, à ce roi qui oublia les commandemens de Dieu pour les biens de ce monde. Son empire a été ainsi miné ; il a été détruit par le Seigneur. Serviteurs de Bel, rappelez-vous ce qui est arrivé au roi Saül !

Ne désespérez pas, chrétiens ! vous souffrirez de grands troubles, vous allez tomber dans la pauvreté, saigner de maintes blessures. Ayez foi néanmoins dans les promesses du Christ. Réjouissez-vous quand même il vous faudrait errer nus. Le Christ lui-même a connu la souffrance. Combattons pieusement aujourd’hui. On peut nous haïr en ce monde ; nous nous réjouirons dans l’éternité avec le Christ. Les temps sont venus qu’annonçait saint Mathieu dans son XXIVe chapitre. Beaucoup de tyrans résistent maintenant à la parole de Dieu ; il est aussi beaucoup de gentilshommes qui l’acceptent. Brederode et le comte palatin, le comte Louis et le prince de Condé inaccessible à la peur, l’amiral de Coligny lui-même, ont confessé la foi pour nous rendre pieux. On veut faire aujourd’hui pleurer les gueux ; ils finiront bien par se venger un jour des perfides papistes. Les principaux seigneurs allemands sont d’accord pour introduire la vraie doctrine dans les Pays-Bas. Gueux, croissez en nombre et invoquons tous ensemble la protection de Dieu ! qu’il garde ces nobles seigneurs de quelque contretemps, afin qu’ils puissent librement et sans crainte suivre son Évangile, combattant, comme David, pour la vraie foi chrétienne ! »

Le moment est critique. Les gueux traversent cependant une période d’espoir. Assisté en secret par la reine Elisabeth, le prince d’Orange rassemble en toute hâte des troupes. On en trouvait toujours en Allemagne quand on était en mesure de les payer. Dès les premiers jours du mois de mai, en l’année 1568, le comte Louis de Nassau pénétrera en Frise à la tête d’une armée de 10,000 fantassins et de 3,000 cavaliers. Il était temps que le duc d’Albe arrivât. Voilà donc Philippe II et Guillaume d’Orange ouvertement aux prises.

Le beau drame ! Philippe II et Guillaume d’Orange y tiendront jusqu’au bout les principaux rôles. Si importans qu’ils soient, Albe, Egmont, de Horn, Louis de Nassau ne sont que des instrumens ou des comparses. Philippe II est un passionné ; Guillaume est un flegmatique. Camarades d’enfance, élevés sous le regard