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général qu’on nomme l’esprit classique, qui ne voit combien prennent d’importance les écrits, même médiocres, qui nous aident à connaître l’état des idées et du goût sous le règne de Henri IV ? Or c’est à quoi Montchrétien, qui, du reste, n’est pas médiocre, est éminemment propre, et je veux profiter de l’occasion qu’il m’offre de remettre en lumière une période trop souvent négligée de notre histoire littéraire.

Elle s’étend, durant une vingtaine d’années, depuis la pacification du royaume jusque vers la fin de la Régence. Entre le XVIe siècle et le XVIIe, entre la Renaissance et l’âge classique, paraissent des œuvres composites, parfois plutôt confuses que complexes, mêlant des façons de sentir et des formes de style qui ne sont pas du même temps, tantôt retenant plus du passé et tantôt découvrant plus de l’avenir, correspondant bien toutefois à un état défini de l’esprit public, et dans leur disparate intime comme dans leur diversité mutuelle, accusant certains caractères constans et communs qui se font aisément reconnaître. Mais on ne s’y arrête guère : quand on étudie les prosateurs, on passe, je devrais dire, on saute de Montaigne et d’Amyot à Balzac et à Voiture. Pour les poètes, on prend Régnier et Malherbe, qui apparaissent seuls dans leur originalité propre, plus différens, plus inconciliables qu’ils ne furent réellement, parce qu’on les détache du fond qui les reliait en fondant leur plus violent contraste. Régnier même ne tient plus à rien : n’étant plus du XVIe siècle et pas encore du XVIIe, il est comme suspendu en l’air, et tout grand poète qu’il est, semble une pièce si peu nécessaire de notre histoire littéraire que M. Nisard avait pu tout d’abord oublier d’en parler. Quant à Malherbe, il échappe vite à son temps pour fonder l’avenir : il en est pourtant par quelques-unes de ses pièces, d’un style moins tendu, plus fraîches que fortes de couleur et qui servent de transition entre le pétrarquisme mignard de ses premiers essais et la sévérité classique de ses chefs-d’œuvre. Quand on veut être complet, si on nomme Olivier de Serres, du Vair, saint François de Sales, d’Urfé, Montchrétien, Bertaut, c’est pour les jeter les uns dans le XVIe, les autres dans le XVIIe siècle, ou les parquer chacun en son genre sans remarquer qu’ils forment un groupe distinct par des tendances et des qualités communes. Et c’est faute d’avoir constitué ce groupe, qu’on se trouve embarrassé de classer, au milieu des précieux et des emphatiques de la période suivante, Maynard et Racan, ces deux retardataires, disciples de Malherbe, qui lui ressemblent si peu, mais qui ressemblent tant aux contemporains dont son originalité l’écartait.

Dans toutes les œuvres des écrivains que j’ai nommés, je vois l’esprit français rentrer en lui-même et se reposer, après le