équivoque et moins mauvais diable qu’on ne croirait d’abord. Qui n’eut des duels et qui n’a fait la guerre civile peu ou prou en ce temps-là ? Malherbe avait porté la croix de ligueur, et poussé, dit-on, Sully l’épée dans les reins, avant d’être le « grammairien à lunettes et en cheveux gris » qu’on sait : chez Montchrétien, le poète précéda le bandolier. Ce fut un tort, d’autant qu’il se fît tuer, et n’eut pas le temps de vendre sa soumission, ce qui l’eût réhabilité. Mais, après tout, il fut de son temps, et le résume en lui. La bigarrure de cette vie où se mêlent la poésie, les duels, les entreprises industrielles, les spéculations économiques, la guerre civile, le décousu des actes, mais aussi cette variété d’aptitudes représentent bien la société d’alors, son agitation confuse, mais féconde. Les cadres sont tracés, mais chacun ne se repose pas encore à sa place, et nul n’est enfermé dans sa condition ou dans sa vocation. Les esprits universels ne se brisent pas contre les catégories sociales : tous les génies peuvent s’épanouir, tous les efforts se développer en tous les sens. Le temps n’est pas venu aussi où les poètes ne seront que poètes ; il n’y a pas encore de gens de lettres. Ce n’est point un métier, ni même une profession de faire des livres, et il n’y a guère que Ronsard, qui, à l’imitation des antiques Orphées, s’établisse poète parmi les hommes de son temps, investi à ce titre d’une fonction spéciale et sacrée. Comme il n’y a point de classe qui ait pour exercice de mettre des pensées par écrit, de toutes les classes sortent des écrivains, par goût ou par occasion, par divertissement ou pour l’utilité publique. Mais le talent littéraire vient par surcroît, donnant à l’homme sa place dans l’estime publique, non dans la hiérarchie sociale. Malherbe n’est qu’un a gentilhomme de Normandie » qui fait des vers mieux qu’homme du monde. Quand Mont-chrétien fait des tragédies, c’est un talent qu’il développe, non une carrière où il entre. Après cela, il a mainte aventure, il suit vingt routes et jamais ne semble se souvenir qu’il ait été poète : mais un jour, s’occupant de commerce, il prend sans y songer sa plume de poète et répand l’éloquence et la grâce à profusion dans un traité d’économie politique.
Habitués que nous sommes au fonctionnement mécanique de nos sociétés régulières, où chaque pièce, c’est-à-dire chaque individu, a sa forme immuable et son jeu uniforme, Montchrétien, par l’extérieur de sa vie, nous fait l’effet d’un brouillon : regardons l’œuvre, et l’homme intérieur nous paraîtra animé d’un esprit d’ordre et de paix. Ce soldat des guerres de religion est sans fanatisme, à tel point qu’on ne sait guère si ce capitaine calviniste était réellement calviniste. La tradition le veut, et M. Petit de Julleville s’y range. M. Funck-Brentano en fait un catholique, sans en donner de preuve bien concluante. Serait-ce donc un tiède, ou un libertin,