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Élégie encore, les trois derniers actes de l’Écossaise, depuis la plainte de la reine sur sa misérable existence, jusqu’aux lamentations du chœur sur tant de beautés abolies par la mort. Mais là, nous rencontrons le genre où Montchrétien est supérieur : c’est la poésie religieuse. J’ai dit combien il était profondément chrétien, il n’est pas étonnant que ses plus heureuses inspirations lui viennent de sa foi. Rien de plus suave, de plus touchant, de plus admirable que la prière de Marie Stuart, se préparant à mourir :


Voici l’heure dernière en mes vœux désirée,..
Où l’esprit se radopte à sa tige éternelle
Afin d’y refleurir d’une vie immortelle.
Ouvre-toi, Paradis !..
Et vous, anges tuteurs des bienheureux fidèles,
Déployez dans le vent les cerceaux de vos ailes,
Pour recevoir mon âme entre vos bras, alors
Qu’elle et ce chef royal voleront de mon corps…
Humble et dévotieuse, à Dieu je me présente
Au nom de son cher fils, qui sur la croix fiché
Dompta pour moi l’Enfer, la mort et le péché…
Tous ont failli, Seigneur, devant ta sainte face ;
Si par là nous étions exilés de ta grâce,
À qui serait enfin ton salut réservé ?
Qu’aurait servi le bois de tant de sang lavé ?..


Il faudrait citer le chœur gracieux qui suit, en l’honneur des bienheureux,


Possesseurs éternels des grâces éternelles.


Il faudrait citer toute la fin de David, et après la parabole et l’invective énergique du prophète Nathan, la pénitence du vieux roi, qui paraphrase harmonieusement le psaume L. Il faudrait citer ces chœurs, qui sont des méditations chrétiennes, rêveries mélancoliques sur la vie et sur la mort, où les images semblent se détacher comme les feuilles d’automne et tomber coup sur coup avec un bruissement doux et triste. Montchrétien lisait la Bible en poète et en chrétien : et tandis que la poésie païenne charmait son esprit, les psaumes et les prophètes s’insinuaient au plus profond de son cœur. De là la simplicité particulière, la vive spontanéité des morceaux que la Bible lui inspire : de là le charme pénétrant qui s’en exhale. À l’ordinaire, il détend, il attendrit le rude génie hébraïque, et substitue aux brusques éclats, à l’intense énergie des livres saints, l’égalité suave et les teintes douces de son style.

Ce n’est pas que les effets de vigueur manquent dans sa poésie. Il a eu la force, et je citerais des couplets d’Aman, comme M. Faguet note des vers et des périodes dans l’Écossaise ou dans la