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M. Mancini qui l’a signée, ni MM. de Robilant et Depretis qui l’ont renouvelée et modifiée, n’ont jamais dit ce qu’elle est. « Quelles sont, dit-il, nos obligations ? Si la France attaque l’Allemagne, devons-nous entrer en guerre ? Devons-nous en faire autant si l’Allemagne attaque la France ? » Du reste, ajoute-t-il avec un sens profond dont ses compatriotes devraient une bonne fois comprendre la grave portée, « ce sont là deux si de peu de valeur ; car chacun sait combien il est facile de se faire paraître attaqué, tandis que l’on attaque. »

Voilà pour le casus fœderis italien. Voyons maintenant le casus fœderis allemand, dont l’on comprend que se préoccupe un ancien ministre de droite qui a été bien à même de juger la façon léonine dont, au temps des ministères de droite, au temps de l’alliance prussienne de 1866, la Prusse envisageait ses devoirs et ses droits d’alliée vis-à-vis de l’Italie[1]. Voici comment il pose la question : « Et si c’est nous que la France attaque, quelle serait l’obligation d’assistance imposée à nos alliés ? » Et il se demande en outre si cette assistance serait due seulement en cas d’agression française sur territoire italien, ou bien aussi en cas de nouvelles conquêtes dans l’Afrique septentrionale, entraînant une nouvelle altération de l’équilibre méditerranéen. Buio pesto ! C’est un secret que seuls peuvent connaître, avec le roi, les cinq ou six hommes qui ont tenu, depuis 1881, la présidence du conseil ou le portefeuille des affaires étrangères, c’est-à-dire MM. Mancini, Depretis, de Robilant, Crispi, et enfin di Rudini ; et, à part M. di Rudini, qui n’a pas encore fait ses preuves, aucun de ces hommes, que la connaissance exclusive de ce secret si grave a rendus, pendant neuf années, arbitres de la situation, n’est assez grand diplomate, ni assez grand homme d’État pour rassurer M. Bonghi sur les conséquences de leur œuvre commune. Il comprend parfaitement que M. de Bismarck ait fait la triple alliance. Il comprend même que l’Italie y ait pris part à une époque où la France, affaiblie par la guerre et la révolution, où la Russie, lasse de son effort militaire de 1878, étaient considérées comme pouvant être facilement maintenues en respect par l’énorme faisceau de forces que représentent les trois puissances alliées. Il reconnaît que la paix a été ainsi maintenue. « Mais quelle paix ? Une paix qui nous ruine tous ; qui, chaque mois, chaque semaine, chaque heure est en péril ; une paix qui nous remplit d’alarmes, qui nous force à tenir le fusil

  1. Voir à cet égard la correspondance diplomatique du temps, notamment dans le livre du général La Marmora, Un pò più di luce. Voir aussi le général La Marmora et l’aillance prussienne, par Chiala, Paris, 1867, chez J. Dumaine, éditeur. Voir également Italia, 1859-1889, Rome, Mozzi, éditeur ; voir enfin, dans la Contemporary Review du 1er avril 1891 : la Dynastie de Savoie, le pape et la république.