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affaires étrangères, M. Goblet, n’a pas hésité à faire officiellement à la tribune du parlement, la déclaration si nette qui suit[1] : « On a dit récemment que le pape ne pouvait compter que sur la France. Si l’on entendait par là qu’il pût espérer de la France un concours quelconque pour le relèvement du pouvoir temporel, c’est une illusion qu’il serait impossible de laisser subsister. Assurément, aucun gouvernement en France, — je ne sais si un autre gouvernement fondé sur d’autres principes que les nôtres agirait autrement, — aucun gouvernement ne consentirait à prendre une semblable responsabilité. En tout cas, j’affirme que ce n’est pas du gouvernement républicain qu’on peut l’espérer ou qu’on peut le craindre. »

Vraiment, M. Crispi, en présence de tant de probans indices, n’a pas été bien inspiré en cherchant à démontrer la nécessité du renouvellement de l’alliance allemande par la persistance du danger d’une guerre française au profit du rétablissement du pouvoir temporel des papes. On s’explique mal qu’un homme d’une si haute valeur intellectuelle ait pu s’embarrasser d’une cause si difficile à défendre. Aussi, en ai-je cherché l’explication dans les motifs de politique personnelle que j’indiquais plus haut, motifs auxquels s’ajoutent ceux des habitudes de l’esprit, qui dominent parfois les intelligences les plus lucides et les obscurcissent. Or M. Crispi a deux vieilles habitudes d’esprit qui sont : la vaticanophobie et la germanomanie.

Quoi qu’il en soit des motifs de M. Crispi ou de ceux, très probablement fort différens, de M. di Rudini, ces deux hommes d’État, si opposés dans leurs vues comme dans leurs origines, sont arrivés à un résultat identique : la triple alliance est renouvelée. Mais le successeur de M. Crispi s’est bien gardé de nous parler du danger clérical auquel personne n’aurait cru. Il nous a dit : J’ai renouvelé la triple alliance, parce que c’était le moyen d’assurer à notre politique la protection de l’Angleterre, « de l’Angleterre qui m’en a fait une condition[2]. » Celle-ci est une raison bien autrement sérieuse, bien autrement politique, et qui était sûre d’avance d’impressionner beaucoup de gens, même parmi ceux-là qui ne voulaient plus de l’alliance allemande et du trouble qu’elle occasionnait dans les relations de l’Italie avec la France.

On ne peut pas mettre en doute la véracité de M. di Rudini. S’il a laissé percer autour de lui l’idée d’une pression anglaise s’ajoutant à la pression allemande, c’est que cette pression anglaise a dû

  1. Séance de la chambre des députés du 13 novembre 1888.
  2. C’est en effet dans ces termes que des personnes qui approchent M. di Rudini expliquent non-seulement le renouvellement de la triple alliance, mais encore sa conclusion si étrangement hâtive.