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peut-être moins de forces que l’alliance à deux à laquelle elle est exposée à tenir tête ; mais nous, Italiens, en notre particulier, nous avons notre accord anglais qui nous vaut comme un contrat d’assurances contre les risques de la triple alliance. Fiez-vous-y, leur répond-il, et peut-être aurez-vous à le déplorer. Et, à l’appui de son peu de confiance, il leur cite l’exemple d’une autre triple alliance, celle qui fut formée à la fin du siècle dernier entre la Sardaigne, l’Autriche et l’Angleterre. Il rappelle les foudroyantes victoires du début de la campagne du général Bonaparte ; puis il ajoute : « Alors, les Autrichiens durent se séparer des Sardes pour défendre leurs propres possessions ; les Anglais ne tentèrent rien contre la route de la Corniche, distraits qu’ils furent probablement par les mouvemens de Gênes ; et nos rois restèrent seuls avec leurs vieilles brigades ; et après l’héroïque résistance du château de Cosseria, et les batailles de Ceva et de Mondovi, ils durent signer le traité de Cherasco, qui entraînait la perte de leur couronne et ouvrait l’Italie au redouté envahisseur[1]. »

Voilà, pour le dire en passant, comment ce député italien, qui n’a rien d’un anti-dynastique, confirme les redoutables pronostics de l’écrivain de la Contemporary Review, que M. Crispi a tant de peine à réfuter. Cette remarque me dispense d’insister sur la gravité des conséquences possibles de la situation faite au royaume d’Italie par le renouvellement de son alliance avec les deux empires germaniques. Mais cette gravité n’a pas pu échapper au regard des hommes éminens que la confiance du roi Humbert a mis à la tête de son gouvernement. En renouvelant la triple alliance, ils ne pouvaient ignorer que, selon les prévisions de M. Jacini, ils augmenteraient les probabilités de mesures conservatoires devenues nécessaires pour celles des puissances européennes qui auraient lieu de s’en croire menacées ; ils ne pouvaient pas surtout ignorer que la révélation de l’adhésion plus ou moins caractérisée de l’Angleterre à leurs accords ferait sortir décidément la Russie de sa réserve habituelle ; qu’une telle révélation était de nature à déterminer cette puissance à conclure enfin avec la France un accord parallèle devant lequel elle paraissait avoir jusqu’alors hésité. Les ministres italiens savaient donc bien à quoi ils s’exposaient, à quoi ils exposaient leur pays en l’engageant irrévocablement comme ils l’ont fait. Ce sont pourtant des hommes d’un esprit hautement réfléchi, hautement modéré en même temps que d’un incontestable patriotisme. Il n’est pas probable qu’ils aient voulu

  1. Voir le discours de M. Marazzi à la séance de la chambre des députés du 13 mai 1891.