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Si l’entreprise poursuivie de ministère en ministère jusqu’au dernier cabinet de M. de Richelieu, avec l’assentiment d’un souverain éclairé, n’avait pas réussi, ce n’est pas qu’elle ne fût digne d’être tentée ; c’est qu’il y avait dans tous les camps des passions irréconciliables, des antipathies, des défiances invincibles.

C’était pour une bonne part la faute des royalistes, qui, du premier coup, avaient laissé éclater leurs instincts de réaction et, en formant une opposition à outrance dans l’État, avaient créé au gouvernement royal tous les embarras d’une situation fausse. C’était aussi la faute des libéraux, qui, dans l’intérêt de leur cause, n’avaient su ni rassurer une dynastie éprouvée, ni ménager des ministères de bonne volonté. Les hommes les plus sincères l’ont reconnu depuis. Le duc de Broglie, dans ses vieux jours, a écrit qu’il n’aurait fallu ni s’étonner ni se plaindre des difficultés, que c’était une vraie bonne fortune d’avoir un roi mettant son amour-propre à défendre la charte, un premier ministre comme M. de Richelieu, homme de bien, patriote à l’étranger, indépendant à la cour et dans les divers ministères, des hommes attachés eux-mêmes à la France nouvelle, a Un tel roi, dit le duc de Broglie, un tel premier ministre, un tel ministère, il les fallait conserver comme la prunelle de l’œil. Il fallait non-seulement les maintenir, mais les maintenir dans leurs bonnes dispositions, et pour cela il ne fallait ni les presser outre mesure, ni les effrayer mal à propos. Il fallait même leur passer beaucoup de fautes : on n’est un parti qu’à ce prix, on ne garde qu’à ce prix le terrain gagné[1]. » Au lieu d’agir ainsi, les libéraux excités par la lutte, enhardis par les concessions qu’on leur faisait et par les succès qu’ils retrouvaient, n’avaient pas tardé à tenter des manifestations qui ressemblaient à des menaces ou à des défis, à se rejeter dans les conjurations secrètes. Ils ne voyaient pas qu’ils perdaient tout, qu’ils compromettaient les ministères modérés à l’abri desquels ils avaient pu se constituer, qu’ils inquiétaient la dynastie, qu’ils justifiaient l’ardente opposition des ultras contre la politique des concessions libérales, qu’ils risquaient enfin de décider le roi, par degrés ébranlé, à se replier sur sa réserve royaliste.

C’est justement la signification de cette crise de 1821-1822 qui marque le point décisif de ce travail, qui élève au gouvernement l’homme le mieux fait pour ménager la transition, pour représenter le royalisme dans ce qu’il avait de plus sérieux, de plus sensé et de plus pratique. Par le fait, M. de Villèle était cet homme. Il ne portait

  1. Voir les Souvenirs du duc de Broglie, t. II, p. 28-31. Ces Souvenirs sont toujours à consulter comme le témoignage le plus précieux d’un esprit loyal, éclairé, hardiment libéral, sur cette époque.