Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/564

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bien autrement étendue. Elle allait de M. Royer-Collard à M. de La Fayette, de M. Casimir Perier ou du général Foy à M. Laffitte et à Benjamin Constant. Cette opposition libérale, elle n’était plus seulement la vengeance ou la fantaisie de quelques hommes déçus et irrités. Elle représentait pour ainsi dire la révolution opposée à la contre-révolution ; elle exprimait toutes les nuances de l’opinion indépendante, les vœux, les défiances, les inquiétudes, les animadversions de la masse nationale. Elle avait eu depuis les premiers jours de la Restauration, il est vrai, des fortunes diverses. Un instant même, à la suite des crises de 1820-1821, elle avait presque disparu de la scène, vaincue par la réaction royaliste. Elle s’était trouvée réduite en 1824, à moins de vingt membres dans la chambre des députés et n’avait plus de refuge qu’à la chambre des pairs formée par les anciens ministres modérés, popularisée par ses résistances aux excès du royalisme. Bientôt, cependant, elle avait commencé à se relever, suppléant au nombre qu’elle n’avait plus, par la persévérance dans le combat, tenant tête à la contre-révolution dans le parlement, défiant la répression dans les journaux, disputant pied à pied les libertés menacées. La réaction sacerdotale et nobiliaire qui se dévoilait, les déceptions du nouveau règne, en excitant l’opinion, lui avaient rendu une armée, la popularité et une force singulière d’action. Auprès des vieux libéraux éprouvés par les mécomptes, s’élevaient déjà des générations nouvelles, impatientes de se jeter à leur tour dans la vie publique, de rajeunir la politique aussi bien que les arts et la littérature. Un esprit nouveau éclatait sous la compression. « Ce qui se passe, écrivait M. Royer-Collard dans l’intimité, est un curieux spectacle. Il n’y a rien à prévoir, rien à dire. Il faut que cet ordre ou ce désordre ait son cours. A coup sûr, il ne ramènera rien de ce que nous avons vu. Les théories révolutionnaires et l’ancien régime sont également usés. Il se fait je ne sais quoi de nouveau, dont nous n’avons peut-être aucune idée... » On n’en était plus déjà à ces jours de l’avènement de la politique royaliste où l’on disait à l’opposition libérale décimée dans les élections : « Résignez-vous, vous en avez pour vingt-cinq ans !

Chose à remarquer ! les libéraux, dans ces années de luttes passionnées entre les partis, n’éprouvaient dans le fond aucune animosité contre M. de Villèle. Ils n’avaient pas comme l’opposition royaliste, comme M. de Chateaubriand entre tous, cette haine furieuse qui devenait une obsession. Ils avaient une considération secrète pour le ministre qui les avait vaincus, et ce sentiment se trahissait parfois dans quelque scène piquante. Un jour, un député de l’opposition la plus vive, M. de Chauvelin, avait eu l’idée d’aller visiter le président du conseil dans son cabinet