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recommence. Nos compagnons de route s’arrêtent là, ils nous réclament un dollar par tête ! C’est sans doute le prix des hurlemens qu’ils n’ont cessé de pousser. Nous donnons un peu de tabac à chacun, et l’on se sépare les meilleurs amis du monde, même de loin les guerriers de temps en temps se retournent pour crier : « Vive France ! Vive France ! »

A quelques pas plus loin, nous trouvons une vieille carcasse de bateau en bois, échouée sur la rive. D’où vient cette épave, de quel drame est-elle le souvenir, nul n’a pu nous le conter. Nous avons campé là au bord d’un marigot saumâtre, sans eau potable, mais nous étions trop fatigués pour aller en chercher plus loin.

Le lendemain, à l’aube, nous levons le camp. La côte est redevenue régulièrement sablonneuse, la falaise a reculé, elle est maintenant à 300 mètres du bord, et l’eau de mer s’infiltre dans le sable et fait de petites mares salées, noirâtres. Enfin, vers dix heures, de loin, nous apercevons une tache sur le sable, c’est Kootrou.

En approchant, nous voyons dans le village une agitation extraordinaire, les naturels courent tous vers une sorte de palissade en bois qui barre la plage. Est-ce que Kootrou voudrait nous arrêter ? Et comme pour répondre à cette supposition, voilà qu’à 400 mètres, la palissade s’allume d’une jolie décharge de mousqueterie qui vient labourer le sable à cent pas devant nous en soulevant une grosse poussière. Évidemment, les noirs n’ont pas de données bien précises sur l’appréciation des distances et la portée de leurs armes. C’est égal, nous avons compris. Nous faisons former les faisceaux, monter la tente, et quand tout est bien installé, nous allons seuls, sans armes, avec notre sergent noir, savoir si vraiment on nous prend pour des ennemis. Kootrou est rassuré, le roi nous avoue même que ce procédé de venir seul l’étonné, et tourne un petit compliment à l’adresse du courage des blancs, qui va tout droit à notre amour-propre.

C’était un malentendu. Une pirogue venue le matin avait conté que les hommes de Fresco, soutenus par deux blancs et une centaine de soldats, venaient attaquer le village, et le roi Coffé nous faisait de très plates excuses ; il y avait eu maldonne.

Pendant que Galo-Djalo notre sergent s’en va faire lever le camp qu’on replantera dans le village, Coffé nous fait les honneurs de son peuple et de sa cité.

Kootrou se compose de trois villages. Le premier, le plus ancien en date, dont les toits s’effondrent un peu et dont les cases prennent des airs penchés, s’est groupé autour d’un marigot assez long, très profond, dont l’eau est presque potable. Le deuxième village se serre autour d’une factorerie anglaise, il se compose d’une vingtaine de cases seulement. Le troisième est le village du