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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/621

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Le 29 juin 1033, le soleil s’éclipsa et devint couleur de safran : « Les hommes, en se regardant les uns les autres, se voyaient pâles comme des morts ; tous les objets en plein air prirent une teinte livide. La stupeur remplit alors tous les cœurs : on s’attendait à quelque catastrophe générale de l’humanité : « Le même jour, en effet, à Rome, les barons romains tentaient d’assassiner le pape à Saint-Pierre. Six années plus tard, nouvelle éclipse, et mort de l’empereur Conrad le Salique. En 1046, le 8 novembre, éclipse de lune qui « paraît couverte de sang noir, » et, le même mois, chute d’un bolide lumineux : quelque temps après, guerre entre le roi Henri et les fils du comte de Bois. Un soir, Widon, archevêque de Reims, qui était moins bon astronome que son prédécesseur Gerbert, aperçut une étoile très brillante, qui s’agitait violemment de haut en bas, prête à se détacher du ciel et à écraser la terre. « Tous ces prodiges, conclut notre historien, tendaient à ramener les hommes à une vie meilleure par la voie de la pénitence. »

Mais le soleil, la lune et les étoiles ne sont qu’un médiocre épouvantail dont la vanité se montre au bout de quelques heures. La peste et la famine, voilà les vrais archanges que Dieu charge du soin de servir dignement sa colère. Le moine de l’an 1000 les a vus fondre plus d’une fois, semant la mort sur les cités et les campagnes. En 994, le mal des ardens brûle les membres et les détache du corps; en une seule nuit, il a dévoré le malade. Le même fléau reparaît un demi-siècle plus tard, frappant sur les grands comme sur le petit monde; « bien des gens restèrent mutilés pour l’exemple des générations à venir. » Vers la fin du Xe siècle, la lamine sévit cinq ans sur l’Europe centrale : on mange les bêtes immondes et les reptiles, on touche même à la chair des morts. Vers 1033, c’est une calamité inouïe : les peuples meurent de faim en Orient, en Grèce, en Italie, en France, en Angleterre. Durant trois années, la pluie tombe avec une abondance si continue qu’il n’est plus possible de semer ou de moissonner. Au temps de la récolte, on ne trouve sur les sillons que l’ivraie et les herbes des marécages. Une mesure de blé, jetée en terre, rapporte à peine une poignée de grains : — « C’était, dit Raoul, le châtiment de l’insolence des hommes. Les riches et les bourgeois, allâmes, pâlirent comme les pauvres et la violence des grands céda devant la misère commune. » Quand on eut mangé les bêtes et les oiseaux, les herbes des ruisseaux, les racines des arbres, l’argile mêlée au son, on s’en prit aux cadavres, « mais tout était vain, car il n’est d’autre refuge contre la vengeance de Dieu que Dieu même. » Le voyageur était assailli sur le chemin par des cannibales ; les misérables qui fuyaient leur province, s’ils demandaient un abri dans quelque masure isolée, étaient assassinés la nuit par leurs hôtes. Des enfans furent attirés