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mesure et la dignité d’un chef d’État qui se sent écouté. M. le président du conseil, en se retrouvant comme ministre de la guerre au milieu de nos officiers tout chauds des manœuvres, s’est exprimé avec une fierté simple et juste sur l’armée, avec une modération prévoyante sur la politique, sans rien exagérer, sans rien diminuer. M. le ministre de l’intérieur, à son tour, allant célébrer à Carpentras l’anniversaire de la réunion du Comtat Venaissin, a tenu le même langage avec ses pointes humoristiques. On peut dire qu’il y a généralement dans tous les discours de la saison deux choses également sensibles : un sentiment profond et confiant de la puissance renaissante de la France, et un vœu pour « l’union de tous les Français. » C’est le ton et comme le mot d’ordre du jour: c’est l’inspiration qui domine dans l’esprit des chefs de l’église allant porter leurs hommages à M. le président Carnot, dans les réponses sobres et pourtant significatives du chef de l’État comme dans les harangues ministérielles. Tout porte à la conciliation par le patriotisme.

Ce n’est point, il est vrai, que dans cette situation nouvelle il n’y ait des paroles discordantes, des trouble-fêtes qui semblent se réveiller à mesure qu’on approche de la session. Il y a les organisateurs de manifestations, les héros du patriotisme faux et tapageur, qui ne peuvent supporter la représentation d’un opéra allemand, du Lohengrin, de Wagner, et vont faire du bruit au risque de provoquer des incidens qui pourraient embarrasser le gouvernement. Il y a aussi les radicaux mécontens et agacés, qui ne peuvent sans frémir entendre parler de la paix religieuse, qui se mettent dans de bizarres colères toutes les fois qu’ils voient un évêque approcher de M. le président de la république et qui menacent le chef de l’État de leurs foudres, les ministres de leurs interpellations à la session prochaine. Un ancien ministre, toujours à la recherche d’un rôle, M. Goblet, a saisi l’autre jour l’occasion de se remettre en scène par un discours d’avocat acariâtre et brouillon contre la politique du moment. Il est certain que les choses marchaient autrement, qu’elles avaient un autre éclat à l’époque où l’ancien président du conseil, ministre des affaires étrangères, avait à dévorer les injures de M. Crispi et envoyait ses gendarmes faire le coup de feu contre des femmes et des enfans rassemblés dans une chapelle! Voilà qui était une politique! Aussi M. Goblet n’est-il pas content et traite-t-il du haut de ses succès « certains personnages politiques, » qui rêvent « l’union de tous les citoyens sur le terrain de la république. » Quoi donc? on parle d’apaisement! on parle de rallier les dissidens! on a la singulière idée d’attacher quelque importance à la modération de l’Église, d’avoir des égards pour les croyances et les sentimens d’une grande partie de la France ! « Que signifie ce langage? » M. Goblet ne l’entend pas ainsi et ne cache pas sa mauvaise