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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/715

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mieux, l’Europe pouvait dormir en paix! Depuis que de récens événemens ont révélé qu’il pouvait y avoir une autre alliance opposant à tout un contrepoids de diplomatie et de force, rétablissant et garantissant l’équilibre universel, c’est bien clair, tout est au plus mal. La France et la Russie ne se sont évidemment rapprochées qu’avec de mauvais desseins et ne peuvent que préméditer de dangereuses entreprises ! Ce qu’elles ont fait simplement pour se défendre, pour maintenir leur position et leur autorité de grandes puissances dans les affaires du monde est aussitôt transformé en menace d’agressions ! On n’est pas embarrassé. Les moindres incidens sont systématiquement grossis; s’ils n’existent pas, on les invente, en les accompagnant d’interprétations perfides, des commentaires les mieux faits pour aigrir tous les rapports. Les faux bruits courent partout et à propos de tout, souvent propagés et exploités par les spéculateurs de tous les pays qui jouent avec la paix de l’Europe. Tactique des bourses, tactique des journaux impatiens d’offrir du nouveau ou des indiscrétions au public, le résultat est le même : c’est l’opinion tenue sans cesse en alarme, aiguillonnée, fatiguée et inquiétée à tout propos.

On n’a que le choix de l’incident, des fausses nouvelles et des polémiques excitantes depuis quelques jours. Y a-t-il, non pas même l’apparence d’un différend, mais quelques explications des plus simples entre le représentant du tsar à Constantinople et le cabinet ottoman, au sujet du passage de deux navires russes dans les Dardanelles? Il n’en faut pas plus pour mettre les esprits en campagne. C’est bien évident, les conventions de 1841, de 1856 qui règlent le régime des Dardanelles, qui forment le droit public de l’Europe sur le Bosphore, ces conventions sont audacieusement méconnues et violées ! La Russie a saisi l’occasion de peser sur le divan, de reprendre, par ses pressions ou ses séductions, son ascendant à Constantinople ! La Russie, dans une prévision de guerre, a voulu ménager subrepticement à ses navires un passage de la Mer-Noire dans la Méditerranée, — et naturellement elle avait concerté son coup avec la France, qui a été sa complice auprès du divan ! Heureusement les gardiens de l’ordre public et de la paix veillaient pour préserver l’Europe d’un danger imaginaire !

A peine cependant cette petite affaire du passage des navires russes s’est-elle trouvée réduite à sa plus simple expression, est survenu un autre faux bruit, d’une nature assez différente. Tout d’un coup, on a répandu la nouvelle que les Anglais, qui ont déjà l’île de Chypre, venaient de débarquer à Sigri, dans l’île de Mitylène, pour avoir une position de plus dans les mers d’Orient. Le fait est que personne n’en savait rien ni à Constantinople, ni même à Londres, ni à Saint-Pétersbourg, ni à Paris, et que tout ce qu’il y a eu paraît s’être réduit à un débarquement assez inoffensif de quelques hommes d’équipage d’un navire anglais descendus à terre pour des exercices. Ce n’était qu’un