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pareil avis : « Allez, lui dit le maréchal; l’empereur en comprendra l’importance; il me saura gré de ma franchise. » Quelques heures après le messager revint ; l’empereur, qui était au bain, l’avait fait entrer, avait prêté une grande attention à son rapport et s’était borné à dire que, la Saale n’étant pas une bonne position défensive, il n’y en avait pas de meilleure que le Rhin : « Nous irons sur le Rhin ; allez dire cela au maréchal. » Macdonald ne pouvait croire à tant de sagesse; à peine l’officier était-il parti qu’un autre survint, apportant l’ordre de marcher immédiatement, non pas à l’ouest, dans la direction du Rhin, mais du côté justement opposé, vers l’ennemi. Macdonald marcha donc, laissant un peu en arrière de son infanterie ses pièces de position au sommet d’une colline. L’ennemi occupait les hauteurs de Bischofswerda ; au loin sur la droite on apercevait une faible ligne de cavalerie. Pendant les premières attaques, Macdonald, mandé par l’empereur, le trouva sur cette colline où était son artillerie, aidant à la mettre en batterie et poussant lui-même de l’épaule avec les canonniers. « Sur quoi voulez-vous tirer? dit le maréchal. — Sur cette ligne de cavalerie, là-bas devant nous. — Mais elle est hors de portée. — N’importe. » Au dix-septième coup, l’empereur fit cesser le feu; puis, prenant Macdonald à part : «Vous êtes surprix; que j’aie fait tirer. — Oui, parce que cette cavalerie, hors de portée, ne valait pas un coup de canon. — Peut-être ; mais c’est qu’à toute volée on attrape toujours quelque chose, qui sait ? un homme de marque ; voyez Moreau, c’est un boulet perdu qui l’a tué à Dresde; voyez Duroc; voyez Bessières. » C’était une idée de fataliste.

On était vers le milieu d’octobre; l’ennemi ne montrait plus que quelques éclaireurs ; il était, sinon évident, au moins très probable qu’il manœuvrait pour tourner l’empereur ; Macdonald l’en avertit. Le lendemain, il reçut l’ordre, d’abord de se diriger sur Wittenberg, puis de se rabattre sur Leipzig. Il y arriva, le 16 octobre, premier jour de la bataille, assez tard dans la journée, mais encore assez tôt pour enlever à la baïonnette une position appelée la Redoute suédoise.

Je dois dire qu’à dater de ce moment, les Souvenirs, dont le résumé qui précède a déjà dû indiquer l’importance, ont une telle abondance, une telle richesse de détails serrés et précis, et en même temps une telle ampleur, une telle grandeur d’impressions et de sentimens que je ne connais guère de morceaux d’histoire plus dramatiques et, comme on dit, plus suggestifs. Une analyse ne suffirait plus; c’est l’œuvre même qu’il faudra lire.

On a fait cent récits de la bataille et de la retraite de Leipzig ; je n’en connais aucun d’aussi émouvant, d’aussi poignant que le récit de Macdonald. Ce qui me frappe avant tout, c’est l’attitude