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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/841

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s’enroule une brindille de chèvrefeuille. Il y grave son nom, et ces doux vers :


Belle amie, si est de nous :
Ne vous sans moi, ne jeo sans vous.


Puis il jette la branche sur le chemin où doit passer Yseult. Elle vient, elle voit la branche messagère, évite les chevaliers qui lui font cortège, entre sous le bois avec sa servante, et trouve celui qu’elle aimait sur toute chose. « Elle lui parla à son plaisir, et lui montra comment il pourrait rentrer en grâce auprès du roi Marc. Ensuite elle quitta son ami ; mais, quand ils en vinrent à se séparer, tous deux pleurèrent. En souvenir de la joie qu’il avait eue, Tristan, qui savait bien harper, fit sur cette aventure un lai nouveau. » — Voici un conte qui rappelle à la fois la Belle au Bois-Dormant, et la légende du Mari aux deux femmes, récemment illustrée par M. G. Paris. On montrait jadis dans l’abbaye de l’Olive, en Hainaut, on montre encore à Erfurt, en Thuringe, la tombe où est censé reposer, couché entre ses deux femmes après avoir vécu simultanément et légitimement avec toutes deux, le chevalier héros de cette aventure. Mais, très loin de la Thuringe, et très loin du Hainaut, bien des siècles auparavant, la légende, insoucieuse des localisations, à travers le temps et l’espace, volait librement par les pays. Les « anciens Bretons courtois » l’avaient déjà contée, et c’est Marie qui l’a recueillie la première. — Un chevalier de Petite-Bretagne, Éliduc, et sa femme, Guildeluec, s’aimaient loyalement. Le chevalier, compromis auprès de son seigneur par des médisans, tomba en disgrâce, dut s’exiler loin de sa femme et de son pays, et s’en alla, outre la mer, offrir son vasselage au roi d’Exeter. Ce roi avait une fille, Guilliadon, dont le cœur fut surpris d’amour pour le chevalier venu des pays lointains. Éliduc, à son tour, l’aima. Il se rappela pourtant sa femme et ses sermens, voulut ne pas les trahir, mais, par faiblesse de cœur, cacha à la jeune fille qu’il était marié. Il n’y eut entre eux « nulle folie, joliveté, ni vilenie, » mais une tendresse douloureuse. Or, voici que le seigneur d’Éliduc le rappelle, le somme, au nom de l’hommage féodal, de revenir à sa cour. Il doit partir ; il l’annonce à son amie, qui pleure. Quand il la voit pâmée entre ses bras : « Vous êtes ma mort et ma vie, lui dit-il. Je ferai votre plaisir, quoi qu’il m’advienne. — Eh bien ! emmenez-moi donc avec vous ! » Il l’emmène. Ils s’embarquent tous deux au port de Tottness. Mais comme ils sont déjà en vue de la Bretagne, près