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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 107.djvu/911

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qu’une fois tombée du pouvoir, la droite chercha en vain à formuler un programme d’opposition : elle ne trouva pour s’affirmer que de s’opposer à l’abolition de l’impôt sur la mouture, tandis que ses hommes les plus clairvoyans étaient bien forcés d’avouer qu’un grand parti politique ne pouvait pas exister seulement pour défendre un impôt impopulaire.

La gauche, après sa victoire, avait un programme encore moins défini, si c’est possible, que celui de la droite. Elle aussi avait accompli sa mission, qui avait été de stimuler ses adversaires, de leur rappeler que les intérêts du pays n’étaient pas toujours ceux d’une caste gouvernementale. Mais maintenant qu’elle arrivait au pouvoir, et qu’elle en avait toute la responsabilité, ses procédés révolutionnaires n’étaient plus de mise, et sa tactique, bonne pour un parti d’opposition, se trouvait être complètement en défaut. Aussi vit-on ce phénomène étrange, qu’ayant battu la droite en s’opposant au rachat des chemins de fer, elle les racheta; qu’étant arrivée au pouvoir pour les faire exploiter par l’industrie privée, elle n’eut rien de plus pressé que de les faire exploiter par l’État. Tout ceci était une conséquence de l’inversion des rôles qui avait eu lieu entre les deux partis existans alors en Italie, et qui avait désorganisé la vie politique du pays.

Dans cette confusion des idées et dans cette dissolution des partis, les intérêts matériels et les sentimens égoïstes prirent le dessus, ainsi qu’il arrive toujours dans des cas semblables. Les candidats à la députation ne se présentèrent plus aux électeurs au nom de certains principes, ils se recommandèrent surtout comme d’habiles solliciteurs, et ce mal, sans parler de beaucoup d’autres, n’a pas cessé d’augmenter jusqu’à nos jours. Les citoyens ne se groupèrent plus suivant des idées communes, mais seulement selon leurs intérêts. L’on a vu avec le scrutin de liste des candidats appartenant à des partis les plus différens se coaliser ensemble pour se faire élire, et les électeurs voter à une grande majorité des listes de noms ainsi composées. En quoi ils faisaient preuve sinon de sens moral, au moins de sens pratique, car puisque leurs élus ne devaient être que leurs hommes d’affaires et leurs avocats, c’était, au fond, chose fort secondaire que de se préoccuper des opinions politiques qu’ils pouvaient bien avoir[1]. Au reste, les programmes

  1. La réunion du système parlementaire avec la centralisation a eu pour effet, selon M. Jacini (Pensieri sulla politica italiana, p. 35), « de transformer les représentans de la nation, sous peine en cas de refus de n’être plus réélus, en solliciteurs des intérêts de leurs électeurs, tous ces intérêts aboutissant au pouvoir central ; tandis que de leur côté les ministres sont obligés de céder assez souvent, aux dépens des intérêts du trésor et de ceux de la justice, devant les coalitions des députés solliciteurs.» — Cet auteur, que l’Italie a eu récemment le malheur de perdre, homme modéré, ex-collègue du comte de Cavour, et mêlé depuis à toute la vie politique de l’Italie, décrit admirablement bien les phénomènes qu’elle présente. Seulement son œuvre resta incomplète en ce qu’il négligea absolument le facteur économique, qui est pourtant le plus important. Peut-être est-ce à dessein, car son but n’était pas de faire une étude seulement scientifique, mais plutôt de préparer un programme pour un parti conservateur, et il aura écarté tout ce qu’il aura cru qui pouvait diviser les futurs adhérens de ce parti. La décentralisation telle qu’il la propose servirait à fort peu de chose. Elle ne ferait que déplacer le mal du centre à la circonférence, peut-être même en l’aggravant. Ce qui importe, ce n’est pas que l’État exerce son pouvoir au moyen d’un préfet plutôt que d’un ministre, d’une assemblée provinciale plutôt que de la chambre des députés, mais bien de restreindre le nombre des cas où ce pouvoir s’exerce. Chaque fois que l’État absorbera toute la vie économique de la nation, on observera les mêmes phénomènes de corruption et de désorganisation de la vie politique. C’est là une raison, entre bien d’autres, qui condamne le socialisme.