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peut s’appliquer à un gentleman anglais du XVIIIe siècle, chasseur, joueur, ivrogne, athée et libertin. Et Burke ? Burke, c’est « le Bossuet de la politique. » Il a aimé et admiré la constitution anglaise comme il faut l’admirer et l’aimer. « On croit, on ne comprend pas, et l’on est sauvé. » Ce peu suffit, et le lecteur voit que, si un léger effort était nécessaire à M. Morley pour sympathiser avec Burke, il lui en fallait faire un plus grand pour comprendre Walpole. Il jugea cet effort utile. D’abord il était impatienté de s’entendre traiter de doctrinaire, et il eût écrit tout le volume rien que pour y insérer cette petite proposition, qui le résume : « Après tout, la première besogne d’un gouvernement, c’est l’expédition des affaires. » Mais il aimait à se prouver à lui-même, une fois de plus, que la théorie et l’action ne sont pas des ennemies, et que telle page de Burke n’est que la généralisation d’une pratique gouvernementale de Walpole.

Pour achever ce que j’avais à dire de l’écrivain, j’ai dépassé, et de beaucoup, la date de son entrée dans la politique active, qui peut être placée en mai 1880, à l’époque où il prit la direction de la Pall-Mall Gazette.

Il y avait plus de douze ans qu’il était à la tête de la Fortnightly Review, dont il avait fait, non sans scandaliser et sans irriter quelques-uns, un des premiers organes de la pensée européenne. Il n’est pas défendu de croire que la Fortnightly Review avait emprunté quelques-uns de ses traits, et par conséquent quelques-unes de ses causes de succès, à la Revue où paraît cette étude. Quoi qu’il en soit, la Fortnightly Review différait de tout avec les vieilles revues trimestrielles : par le ton, la forme, la distribution des matières, la dimension des articles, surtout par ce fait que, ni frivole, ni solennelle, elle était essentiellement moderne. Son triomphe constata leur décrépitude. Très « avancée » dans les questions politiques, religieuses, pédagogiques, elle s’ouvrait, avec un éclectisme hospitalier, à tout ce qui était neuf, hardi et curieux. En 1870, elle ne fêta point nos malheurs ; elle ne célébra pas, avec le vieux Carlyle, l’avènement de l’Allemagne comme une victoire de la justice et de l’intelligence. A part quelques banales injures à Napoléon III et quelques sarcasmes immérités contre la république conservatrice qui sauva alors notre pays, la Fortnightly Review se montrait sympathique à la France, à son relèvement, à la restauration de son influence, à l’établissement définitif de sa forme nouvelle de gouvernement, jusqu’à se faire soupçonner elle-même de républicanisme.

M. Morley faisait un grand pas en passant de la presse périodique à la presse militante, de la bataille des idées, sereine et paisible en somme, à la mêlée, bien autrement bruyante et furieuse,