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surenchère aux offres de lord Carnarvon ? Il faut laisser la solution de ces questions à de plus compétens, à de mieux informés, à l’avenir qui saura tout et dira tout. Ce qui frappa dès lors les spectateurs, c’est la façon dont s’empressèrent autour de John Morley les néophytes du home-rule. Du second plan, d’une sorte d’isolement qui s’explique à la fois par son caractère, ses opinions, la nature de sa parole, ses origines de penseur et de publiciste, il passait au premier rang ; il devenait l’homme le plus en relief du parti après M. Gladstone. C’est que lui, il était sincère, il était convaincu, il savait où l’on allait et pourquoi. Aussi venait-on lui demander des raisons, lui emprunter des convictions. Le parti libéral ressemblait à une troupe de voyageurs en pays étranger qui se tournent, avec anxiété, avec soumission, avec confiance, vers le seul d’entre eux qui sache la langue du pays.

On connaît les deux lois connexes offertes par M. Gladstone, en février 1886, aux délibérations du parlement : l’une rendant à l’Irlande son autonomie et délivrant la chambre des communes de la présence des Irlandais ; l’autre rachetant la propriété du sol à ses détenteurs actuels pour la remettre aux compatriotes de M. Parnell, sous la garantie et la responsabilité du gouvernement futur de l’île sœur. Si M. Morley n’était pas l’auteur de cette double combinaison, qui, par son caractère moitié politique, moitié financier, par son dualisme même et par le balancement de ses parties, porte la marque de M. Gladstone, du moins il l’approuvait entièrement et eut bientôt à la soutenir devant le parlement.

Il y était, relativement, un homo novus. Après avoir échoué en 1869 devant les électeurs de Blackburn, en 1880 devant ceux de la cité de Westminster, il avait été élu à Newcastle en février 1883 et réélu en novembre 1885, aux élections générales, par cette grande et populeuse circonscription. Il n’apportait, en entrant au parlement, aucune illusion sur « la bonhomie plus apparente que réelle, » qui préside à ses débats, sur cette moyenne d’idées vulgaires et bourgeoises qui y règne, sur ce qu’il appelait dédaigneusement « la conception parlementaire de la vie, » the house of commom view of human life. Ses collègues, de leur côté, l’écoutaient avec cette sourde défiance des gens d’affaires et des gens du monde contre « les idéologues. » Sa phrase facile, toujours claire, souvent brillante, n’échauffait point, n’entraînait personne, répandait autour d’elle une froide atmosphère doctrinale dont ses adversaires affectaient d’être glacés. Lorsqu’on le comparait à son compagnon de lutte, à sir William Harcourt, toujours agité, toujours vibrant, toujours prêt à bondir et à mordre, bien inférieur comme puissance intellectuelle, bien supérieur comme moyens d’attaque et de riposte, on eût juré que,