Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 108.djvu/219

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

droit réputés dangereux, quand notre crime vient publiquement prouver que toutes les défenses, toutes les menaces de la loi pénale ne sauraient contre-balancer en nous l’impulsion de la fatalité meurtrière. Si Macbeth tue Duncan, c’est une preuve que les dangers qui peuvent suivre l’assassinat n’ont pas eu le pouvoir de balancer en Macbeth la férocité de son ambition, et c’est justement en cela, pour cela, que Macbeth est dangereux.

Voici encore une question que M. Proal n’a pas tout à fait négligée dans son livre, mais qu’on aurait désiré qu’il traitât plus à fond. Il se peut bien que le libre arbitre soit le fondement nécessaire de la moralité ; et je le crois, pour ma part, au nom de raisons métaphysiques dont je n’ai rien à dire aujourd’hui. Mais l’est-il également de la responsabilité pénale ? « Pendant que les théologiens, nous dit M. Proal, et les philosophes s’efforcent péniblement de concilier la liberté humaine avec la prescience divine et le déterminisme de la nature… tous les législateurs admettent le libre arbitre comme un fait indiscutable : ils font dépendre la responsabilité légale de la responsabilité morale. En faisant ainsi reposer la responsabilité légale sur le libre arbitre, les législateurs ne s’inspirent point de théories métaphysiques : ils acceptent le libre arbitre comme une vérité évidente. » J’y consens encore. Mais lorsqu’il ajoute, un peu plus loin : « L’homme ne peut être puni que s’il est coupable ; il n’est coupable que s’il est moralement responsable ; il n’est responsable que s’il est libre, » je l’en crois toujours, mais je me demande s’il n’y a pas ici quelque confusion de l’objet propre du droit avec celui de la morale ; et, en tout cas, s’il ne serait pas avantageux de ne chercher que dans la nécessité sociale le fondement de la responsabilité légale.

Car, quel inconvénient ou quel danger craindrait-on qu’il en résultât ? « Si le criminel, nous dit-on, n’est pas moralement responsable, la société, en vertu du droit de défense, ne peut que le placer dans un asile… Il faut le soigner et non le punir. » N’est-ce pas un peu jouer sur les mots ? Qu’il soit ou non « moralement » responsable, que son crime soit l’œuvre de son libre arbitre ou la conséquence de son tempérament, ce qu’il faut, et ce qui peut suffire à la rigueur, c’est de mettre le criminel hors d’état de nuire. N’est-ce pas ainsi qu’on fait des aliénés ? Vainement nous dit-on que la différence est immense, et, par exemple, que c’est pour « le soumettre à un traitement » que l’on place l’aliéné dans un asile, mais que, si l’on enferme le criminel en prison, « c’est pour lui infliger une peine. » Si le traitement de l’aliéné dans les asiles consiste à le priver de sa liberté d’abord, et ensuite à réprimer par des moyens souvent violens, comme la cellule ou la douche, les manifestations de sa folie, on ne traite pas autrement le criminel, et d’ailleurs, M. Proal nous le dit lui-même quelque part, on se propose de le « soigner, » de « l’améliorer, » de le « guérir, »