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pendant ces quatre jours une solution devait intervenir devant la chambre et que le ministère devait être renversé…. Voilà l’explication des tergiversations du ministère anglais… Dans tout ce qui s’est passé, rien n’indique, rien ne permet de dire que le gouvernement anglais ait été, le moins du monde, infidèle à ses engagemens. »

A la déviation de notre politique en Égypte, à la déchéance d’Ismaïl-Pacha venait ainsi s’ajouter l’instabilité ministérielle, source de fréquens et d’irréparables mécomptes[1]. La diplomatie est un art ouvert à tous les esprits, mais elle a des règles consacrées par les précédens, qu’on ne peut méconnaître sans s’égarer ; aussi commande-t-elle, avec la prudence et la fermeté, avec une confiance relative, une profonde étude des choses et des hommes, elle exige surtout la certitude du lendemain ; elle s’accorde avec un gouvernement qu’on est assuré de retrouver, elle se défie et s’éloigne d’un gouvernement constamment menacé de disparaître. « J’avais beaucoup étudié l’histoire d’Angleterre, a écrit M. Guizot, en racontant son ambassade à Londres, j’avais souvent discuté, dans les chambres, les questions de politique extérieure ; mais je n’étais jamais allé en Angleterre, et je n’avais jamais fait de diplomatie. On ne sait pas combien on ignore et tout ce qu’on a à apprendre tant qu’on n’a pas vu, de ses propres yeux, le pays et fait soi-même le métier dont on parle[2]. » Or, s’il y a péril à remettre la direction des relations extérieures à des hommes qui y sont étrangers, combien ce péril doit-il être plus redoutable quand elle passe fréquemment en des mains nouvelles et inexpérimentées, surtout quand il faut compter avec la majorité d’une assemblée toujours incertaine et flottante ! On conçoit que lord Granville, ayant traité avec Gambetta, se soit montré circonspect et défiant à la veille de se rencontrer avec des négociateurs nouveaux et inconnus. Ainsi s’explique l’attitude du cabinet de Londres durant cette période de la question égyptienne. Aussi longtemps qu’il ne craint pas l’inconnu, il s’unit à la France dans la phase diplomatique et il accepte éventuellement de débattre les moyens d’action « si une

  1. En 1881, la direction de notre politique extérieure a passé de M. de Freycinet à M. Barthélémy Saint-Hilaire et à Gambetta ; en 1882, de Gambetta à M. de Freycinet et à M. Duclerc, pendant qu’en Angleterre le ministère des affaires étrangères demeurait invariablement confié à lord Granville. Nous relevons la même instabilité dans notre représentation en Égypte : en moins de trois ans, pendant une période déjà bien agitée, de 1878 à 1881, notre consulat général au Caire a été successivement administré par huit agens différens. Il serait superflu de signaler les graves inconvéniens de ces fréquentes mutations, qui sont traditionnelles au quai d’Orsay, il faut le reconnaître. Le ministre qui parviendrait à y remédier, au moins pour ce qui concerne le service consulaire, rendrait un notable service.
  2. Mémoires, chap. XVII.