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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 108.djvu/445

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se fraie un passage dans la haie, sur la lisière opposée ; du côté de la défense, des hommes de tout âge, affolés, courant d’un point à l’autre de l’enceinte ; s’efforçant de repousser les pirates, ici, à coups de bâton ; là, en les piquant au moyen de perches appointées de sept à huit mètres de longueur ; ou en jetant sur eux, en guise de projectiles, tout ce qui leur tombe sous la main ; plus loin, cherchant à démoraliser l’ennemi en lui faisant croire, par l’éclatement de gros bambous bourrés de poudre et de ferraille, imitant le bruit des caronades, qu’ils disposent d’armes à feu redoutables ; et enfin, dominant tout ce vacarme, les cris des animaux, les clameurs des femmes, ramassant dans une hâte fébrile ce qu’elles ont de plus précieux, et courant chercher un refuge dans la pagode consacrée aux génies tutélaires du lieu, où, pressées les unes contre les autres, effarées, tremblantes, elles attendent dans une inexprimable anxiété le résultat de cette lutte dans laquelle se joue leur existence.

Toutefois, le plus souvent, pour ne pas s’exposer à un échec, la bande remet son attaque à une occasion plus favorable dans laquelle elle pourra agir par surprise, après avoir, si cela lui parait nécessaire, requis le concours de bandes voisines. Le village pris, il est alors pille, puis brûlé de fond en comble, et les habitans saisis sont massacrés, afin de frapper, par ces exécutions exemplaires, les habitans des autres villages qui seraient tentés de faire de la résistance.

Si, isolées, ces bandes ne constituent pas un danger pour les postes de gardes civils qui couvrent le delta et auxquels est réservée la pacification de cette partie du Tonkin, lorsque plusieurs se réunissent ou concertent leurs opérations, elles sont alors capables d’empêcher toute sortie des garnisons de ces postes, de tenir la campagne, et d’infliger parfois de graves échecs aux détachemens qui sont envoyés contre elles. A l’approche de fortes colonnes, elles se dispersent ou passent dans une région voisine, pour revenir bientôt sur le théâtre habituel de leurs opérations dès que ces colonnes se sont retirées.

L’action incessante, funeste de ces bandes, jointe à celle de la piraterie locale, exercée par de petits groupes de pillards, de détrousseurs, dont le nombre augmente encore avec une mauvaise récolte ou avec un relâchement dans la surveillance de la police provinciale, sont une cause permanente de désarroi, de troubles et d’entraves dans le fonctionnement régulier de notre protectorat.

Loin de nous aider en effet dans notre œuvre de pacification, nombre de fonctionnaires annamites de cette partie du delta favorisent tout au contraire les menées de ces bandes. Beaucoup d’entre