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avait à se défendre contre M. Camille Pelletan, et qui se voyait obligé de mettre son portefeuille sur la tribune. M. le ministre de l’intérieur, plus que tout autre, est bien sûr d’avoir lui aussi son jour. En un mot, les radicaux, après s’être contenus quelque temps, ont fini par se démasquer ; ils n’ont pas pu résister à l’impatience de reprendre les armes, de tenter un retour offensif pour ressaisir une influence menacée. À tout hasard, ils ont ouvert le feu et on en est bientôt venu à ce moment singulier où nous sommes, — où de toutes parts, sans qu’il y ait une raison bien saisissable, on semble chercher l’occasion d’une explication décisive sur les affaires ministérielles, sur la direction de la politique. On en est là après un mois de session !

Évidemment, c’est une campagne qui recommence, une sorte de siège organisé par les radicaux autour du ministère, et ce qu’il y a de plus caractéristique, de dangereux sans doute aussi, c’est que l’ennemi est à moitié dans la place, qu’il y a tout au moins des intelligences, et qu’il ne désespère pas d’y entrer en maître par quelque capitulation nouvelle. Au fond, c’était peut-être facile à prévoir. Si les radicaux depuis quelques mois ont paru désarmer à demi devant ce qu’un de leurs orateurs a appelé des « événemens heureux pour la grandeur du pays, » ils gardaient leurs griefs, ils ne l’ont pas caché. Ils ne déguisaient pas leur impatience, leur irritation toutes les fois qu’ils entendaient ces mots d’apaisement, d’union, de conciliation, prononcés cet automne sur le passage de M. le président de la République, et répétés par le chef de l’État, par les ministres eux-mêmes dans leurs discours. Ils sentaient que tout ce qui pouvait ressembler à une victoire pour les idées de modération était une défaite pour leur cause, pour leur influence. Ils se promettaient bien d’interrompre ce mouvement de pacification intérieure par leurs défis, par leurs menaces et leurs excitations. Ils attendaient leur heure, comme le disait récemment M. Clemenceau : ils ne se sont pas résignés longtemps ! Ils ont voulu, selon le mot vulgaire, tâter le gouvernement et le parlement. Et à quel propos ont-ils ouvert les hostilités ? On fait ce qu’on peut. Un révolutionnaire socialiste, M. Paul Lafargue, condamné il y a quelques mois par le jury de Douai, a été choisi récemment comme candidat à la députation par un comité de Lille ; il a été choisi, on ne l’a pas caché, comme un candidat de protestation contre « le massacre de Fourmies et la comédie judiciaire de Douai, » contre « le gouvernement des fusilleurs. » Il n’a pas été élu du premier coup, il ne l’a été qu’à un second tour de scrutin ; il avait eu cependant à un premier tour quelques milliers de voix. C’était assez, à ce qu’il paraît, pour représenter la voix du peuple !

Le prétexte était trouvé. Aussitôt on s’est décidé à interpeller le gouvernement, à lui demander pourquoi il ne s’était pas hâté de se soumettre à la première sommation du suffrage universel en rendant la liberté à M. Paul Lafargue ; — mais, a pu répondre M. le ministre