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affranchir. Elles appartiennent au monde de la pensée et de la volonté.

On peut, à ce propos, remarquer que la métaphore a joué un grand rôle dans nos études. Jacob Grimm n’était pas éloigné de prendre pour un signe de vie le changement de voyelle qu’on observe dans les verbes allemands comme : ich singe, ich sang, gesungen. Il les appelait les verbes forts et il les opposait avec une sorte de pitié aux verbes faibles, lesquels forment leur passé au moyen d’un auxiliaire annexe, comme ich liebe, ich liebte. Quelques linguistes ont considéré les désinences comme une floraison de la racine. Toutes ces expressions sont excellentes à condition d’être prises pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire des images. Il est permis en ce sens de dire que le langage est un organisme. Mais on ne devrait pas avoir besoin de dire que c’est là une manière de parler figurée, et il semble que des hommes habitués par métier aux métonymies et aux tropes auraient du être les derniers à s’y laisser prendre.


II

Est-il vrai, comme cela est dit et répété, que le langage soit régi par des lois nécessaires et aveugles ?

Comme il est aisé de le deviner, pour soutenir une affirmation de cette sorte, on ne se réfère pas à la partie la plus intellectuelle du langage, telle que le choix des mots ou la construction de la phrase : la contre-vérité apparaîtrait trop clairement. Aucune nécessité n’exigeait, par exemple, que le mot jacobin vînt à marquer une nuance d’opinion politique, ou que le mot bureau, qui désignait d’abord une sorte de bure ou étoile de laine, signifiât successivement le tapis qui couvre une table à écrire, puis la table elle-même, puis la pièce où cette table est placée, et finalement les personnes qui se tiennent dans cette pièce ou à cette table[1]. Si chacun de ces changements a sa raison d’être, aucun certes n’était obligé.

On ne pouvait pas non plus placer la nécessité dans le mécanisme grammatical : la réputation de la grammaire, en matière d’exceptions, est trop bien établie. La syntaxe s’y prêtait encore moins : si la prose française, pendant deux siècles, n’a cessé de

  1. N’étant vêtu que de simple bureau (Boileau : Satires, 1). — Nous empruntons cet exemple au Dictionnaire général de la langue française de MM. Hatzfeld, A. Darmesteter et Ant. Thomas, dont les premières livraisons ont commencé de paraître (Delagrave). Ce grand travail qui, par plusieurs côtés, marque un progrès sur Littré, se fait remarquer entre autres choses par le soin particulier apporté à la distinction et au classement des sens.