Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 108.djvu/641

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Mais le XIXe siècle ne devait pas seulement voir déclarer cette guerre des langues sur les frontières : elle a éclaté au sein même de certaines nations dont elle complique l’existence et compromet l’unité. Par une ironie du sort, c’est surtout là où régnait la langue allemande que ces difficultés se sont présentées. Peut-être est-ce l’importance qu’elle avait coutume de s’attribuer qui lui a suscité des rivales. Peut-être le plus sûr moyen d’éviter ces conflits est-il de faire allusion le moins possible à un sujet qui ne devrait pas sortir des salles d’étude des universités. Il en est du langage comme de certains organes de notre corps : y trop penser, c’est déjà un signe de malaise.

On peut remarquer que la guerre des langues naît et se développe : surtout dans les pays où a régné longtemps une certaine apathie politique : rien n’est plus favorable à ces sortes de compétitions que la somnolence de la vie intellectuelle. Le meilleur préservatif est le mouvement des opinions et l’activité des idées. La révolution française a eu chez nous pour effet d’enlever d’avance toute portée politique à des questions de cet ordre : nous sommes divisés sur des sujets trop sérieux, trop profonds, pour nous grouper selon les données d’une carte linguistique. Il en est de même pour l’Angleterre : ce n’est pas au nom de leur idiome que les Irlandais réclament leur indépendance ; ils renoncent au contraire à leur vieille langue celtique et apprennent l’anglais pour mieux discuter avec leurs adversaires une thèse moderne de droit et de liberté. En Suisse, la différence des langues, loin d’être un dissolvant, est devenue une cause d’émulation et de progrès.

Aussi ne saurait-on assez blâmer les hommes qui, de gaîté de cœur, essaient d’implanter des divisions de cette espèce chez des peuples jusque-là occupés de plus utiles objets. Quoique voulant éviter les exemples particuliers, je ne peux me dispenser d’en citer un qui fera toucher du doigt ce qu’il y a parfois d’artificiel dans ces débats. Je me souviens d’avoir lu, il y a déjà des années, dans une revue allemande, un article intitulé : « La guerre des langues et des races en Belgique, » où l’auteur, devenu depuis député à Berlin, expose comment il s’y est pris pour recruter en Belgique un parti flamand. Jusque-là les rares partisans de la langue flamande se contentaient de réclamer une place au soleil, place que personne ne songeait à leur disputer. Mais cela ne faisait pas le compte du journaliste. Il conseilla l’organisation en parti, la lutte électorale avec la langue pour devise, une guerre en règle jusqu’au triomphe ou jusqu’à l’extinction. Les choses, continua-t-il, n’allèrent pas très bien d’abord, car on se heurtait a un obstacle imprévu. Les Belges se divisaient jusque-là en libéraux et cléri-