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de Chrysostome à Vincent de Paul, tel a été leur rôle de prédilection. En se retournant vers la plèbe, l’Église, loin de s’écarter de sa tradition, y est rentrée. Elle revenait à son principe ; et, comme le dit Léon XIII, pour les institutions religieuses, de même que pour les États, revenir à son principe, c’est souvent se retremper dans sa jeunesse.

Faut-il le dire ? Entre l’Église et le monde, il y avait un malentendu séculaire. Cela datait de la révolution, ou, plus exactement, cela datait de la fin du moyen âge, du XVe, du XIVe siècle, des temps de Rome ou d’Avignon, où la papauté était devenue riche et quasi-mondaine ; où l’Église, secouée par le schisme et par l’hérésie, avait pris l’habitude de s’appuyer sur les monarques et sur les monarchies. Cela, depuis Luther et depuis Voltaire, semblait convenir à la débilité de ses vieux jours. C’est ainsi que nous nous étions accoutumés à voir dans l’Église du Christ l’auxiliaire naturelle des princes, des grands, des riches. Mais ce que notre myopie ou notre irréflexion prenait comme une condition normale de son existence n’était, dans l’histoire de l’Église, qu’une phase passagère. Le temps devait venir où, lasse d’alliances qui tendent parfois à se changer en servitudes, l’Église, se ressouvenant de sa jeunesse, chercherait à se dégager de solidarités souvent plus gênantes que profitables.

Les temps sont venus, en effet, et plus vite qu’on ne l’eût supposé au Vatican. Ceux d’entre nous qui se plaisent à chercher dans la couleur du ciel et dans la direction des vents les signes des changemens de saisons ne s’y sont pas trompés. Ils n’ont pas attendu que le pape parlât pour annoncer que, du fond de sa prison volontaire, la papauté, dépossédée par un roi, s’allait tourner vers la démocratie. Un homme dont les yeux aiment à percer par-delà l’horizon, M. E.-M. de Vogué, en faisait part aux lecteurs de la Revue, dès son retour de Rome, au printemps de 1887[1]. A beaucoup de bons esprits les prévisions de l’audacieux écrivain paraissaient quelque peu chimériques ; il a suffi de quatre ans pour qu’elles fussent, en grande partie, justifiées. Ce qui semblait paradoxe sera bientôt lieu-commun. La question sociale s’est officiellement imposée à la sollicitude de la curie romaine. Nous-même, s’il nous est permis de le rappeler, nous avions, quelques années plus tôt, indiqué, à cette place, les surprises que pouvait ménager à notre inattention l’attitude de l’Église vis-à-vis de la démocratie. Pardessus les combinaisons de la savante diplomatie du pape Léon XIII,

  1. Voyez la Revue du 1er mai 1887 et Spectacles contemporains (A. Collin, 1891), 1re partie : Affaires de Rome.