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Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 108.djvu/812

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REVUE DES DEUX MONDES.

honneurs comme s’il eût été déjà de la maison. Il éprouvait du plaisir à être près d’elle, à la frôler, à marcher dans le sillage ondoyant de sa robe. — Cette nature saine de vierge rustique l’attirait. Il la trouvait plutôt belle fille que jolie, très désirable, avec cette réserve pudibonde, cette pruderie d’allures qui lui étaient un piment de plus, aiguisaient au dernier point sa curiosité d’amour.

D’elle, il ne voyait que les diamans noirs de ses yeux, tranchant sur la matité des joues, le casque sombre de ses cheveux crépelés sur le front, prolongés à la nuque par une fine raie de duvet frisottant, suivant la ligne médiane du cou, la courbe harmonieuse de sa gorge… Et son désir impatient se manifestait parfois par des allusions brutales à l’avenir prochain, quand ils seraient unis.

De la porte, un invité qui savait les usages annonça à voix pleine :

— Monsieur, madame Lacousthène et leurs demoiselles !

Alors Thérèse posa là sa crème d’estragon, alla se jeter dans les bras des nouvelles venues, qui lui rendaient ses baisers froidement, les traits figés en une anxiété jalouse.

— Eh ! mon Dieu, ma chère, quelle expansion ! prends donc garde, tu nous décoiffes.

— Ah ! c’est que je suis heureuse, si heureuse !

Elles avaient arboré des toilettes de circonstance, les demoiselles Lacousthène ; des robes de mousseline blanche agrémentées de larges ceintures mauves qui les pâlissaient, leur donnaient un air triste de victimes qui espèrent vainement des sacrificateurs. L’une d’elles répliqua méchamment :

— Tu te presses bien de te réjouir ? Attends au moins de mieux connaître celui qui t’épouse… sait-on jamais ce que l’avenir nous réserve !..

Tandis que sa femme se glissait dans le cercle des dames, Lacousthène avait accaparé M. d’Escoublac, l’accablait d’offres gracieuses :

— Venez donc nous voir à Mazerat, monsieur le baron.

— Mais je ne dis pas non, cher monsieur, on prétend que la situation est charmante…

— Mon Dieu ! j’ai arrangé cela de mon mieux. La maison est bâtie sur l’emplacement jadis occupé par une commanderie de templiers. Il y a même encore une tour aux trois quarts démolie, dont nous avons fait le poulailler.

M. d’Escoublac eut un léger froncement de sourcils :

— Vous vous occupez de viticulture ; vous avez, m’a-t-on dit, de jeunes plantations…

Lacousthène approcha une main de ses lèvres, et lançant un baiser dans le vide :

— De toute beauté, monsieur le baron, c’est curieux ! curieux !