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L’inspiration de la comédie au moyen âge est sensiblement la même, dans les trois formes principales de cette comédie : moralités, soties et farces, et nous pouvons déjà remarquer, en passant, que si le théâtre est fait d’invention et de variété, il n’y en eut jamais de plus pauvre que celui de ce temps-là. C’est un esprit de raillerie grossière, inspiré par un lourd bon sens, et dont l’obscénité est un des moyens d’expression favoris. Le sentiment de la délicatesse et de l’élégance, comme de la poésie, y est absent, ou peu s’en faut : il n’y a guère que deux pièces dans tout ce théâtre, le Jeu de la Feuillée et Robin et Marion, d’Adam de la Halle, qui accusent un effort heureux pour s’élever au-dessus des basses trivialités ; encore ces deux pièces sont-elles une exception par leur date, comme par leur objet. Elles remontent, en effet, au milieu du XIIIe siècle, alors que toute l’évolution comique du moyen âge est comprise dans les limites du XVe et du XVIe siècle[1]. Dans tout le reste, l’observation comique se borne à décrire ce qu’il y a de plus bas dans la vie et dans les mœurs, dans le fond permanent de l’homme et dans les habitudes particulières de son existence en ce temps-là. Quant aux idées morales qui inspirent cette observation, elles sont courtes, pauvres et laides. La comédie, forme particulière de la satire, repose, comme la satire elle-même, sur un double contraste : celui qui est dans les choses et celui qui existe entre les choses et notre esprit. Un vice s’ignore, agit et parle comme s’il était une qualité : contraste plaisant dans l’objet de la comédie ; mais ce contraste n’est saisi qu’au moyen d’un autre contraste, Savoir le mépris que nous avons pour ce vice et qui est un sentiment élevé, en opposition avec la bassesse de ce vice. De là vient que la peinture exacte d’un vice bas peut dénoter chez celui qui l’a tracée une âme généreuse ; telle est même l’impression que produisent sur nous les vrais et grands comiques, comme un Aristophane ou un Molière. Il peut arriver, au contraire, que, tout en se moquant d’un vice, un auteur dénote, par les sentimens qui inspirent sa raillerie, une âme médiocrement élevée au-dessus de son objet. Dans les deux cas, comédie à

  1. Il importe de dire que, d’après les meilleurs historiens de notre ancienne littérature, le vrai moyen âge finirait dans les premières années du XIVe siècle. M. Gaston Paris dit expressément (la Littérature française au moyen âge, avant-propos) que la littérature du moyen âge « s’arrête à peu près à l’avènement des Valois (1327), au moment où va s’ouvrir la guerre de cent ans ; » dès lors, « le fond et la forme ne sont plus les mêmes : une longue période de transition s’ouvre, qui va du vrai moyen âge à la renaissance. » Par là se trouve encore appauvrie, au point de vue qui nous occupe, une littérature qui n’est déjà pas trop riche, si la richesse consiste plutôt dans la qualité que dans la quantité.