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monastères[1]. Le général Roberts personnellement se montra plein de déférence envers les autorités religieuses. On affecta même de les traiter comme des facteurs considérables de la politique. Quand on sut que le chef de dacoits Ala-Oo voulait se rendre, le commissaire du district, M. Colquhoun, lui écrivit que, s’il le préférait, il lui était loisible de faire sa soumission entre les mains de l’archevêque bouddhiste de Mandalay. Tout cela fut du meilleur effet[2]

A la tête du royaume, à côté du roi plutôt qu’au-dessous de lui était un conseil d’État ou Hutdaw, qui rappelle le comat de la cour de Hué. Ce conseil se composait des principaux ministres de l’État ou woongys, au nombre de quatre et quelquefois de six. On avait espéré un moment pouvoir le maintenir dans son intégralité et gouverner par lui ou du moins avec lui. Pour des raisons que je dirai plus loin, il fallut renoncer à cette combinaison : le Hlutdaw fut supprimé ; mais ses membres honoraires ou titulaires furent soigneusement rattachés à la politique anglaise. On donna à cinq d’entre eux des fonctions diverses, moyennant un traitement qui s’élevait au total à 3,250 roupies par mois et à neuf autres des pensions de 4,800 roupies. Dans un durbar solennel, tenu à Mandalay en 1887, Kinwoon Mingye, ancien premier ministre du roi Thibau, reçut la distinction enviée de l’Étoile de l’Inde ; d’autres Birmans, moins considérables, qui s’étaient distingués contre les dacoits, reçurent des présens proportionnés à leur importance et à leur mérite : chaînes d’or, armes d’honneur, médailles, etc. Dans une autre circonstance (décembre 1888), un juge indigène, Moung-Ohn, fut nommé membre du conseil législatif du vice-roi. Le choix, à ce qu’il paraît, était contestable ; mais le principe seul nous intéresse : rattacher les indigènes à la cause anglaise en leur confiant des fonctions considérables. C’est le principe qui prévaut en Birmanie et dans toute l’Inde anglaise.

Avec les tribus vassales, comme avec les hauts fonctionnaires de Birmanie, les Anglais ont également montré beaucoup de sagesse.

  1. Les monastères sont peut-être les monumens les plus remarquables de l’art birman. Certains d’entre eux sont des merveilles d’ornementation délicate.
  2. Depuis cette époque, on s’est départi de la politique conciliante, inaugurée par sir Charles Bernard et sir Frederick Roberts. Des moines ont été plus ou moins justement emprisonnés. Les autorités les plus considérables sont peu écoutées. L’évêque qui avait négocié la soumission de Boh Yanyum n’a pu obtenir l’exécution des engagemens pris. Pour toutes ces raisons, l’élément religieux s’éloigne des Anglais. En même temps une forme nouvelle de protestation se manifeste dans la population. En novembre dernier, elle a procédé au redorage de toutes les pagodes, grandes et petites. Une grande fermentation se révèle dans les esprits. Un moment on a pu redouter l’entrée en territoire birman du prince Myn Goou : et les agens anglais, consultés par le gouvernement local, ont répondu à l’unanimité que cette entrée déterminerait un soulèvement que les prêtres et les moines-ne feraient rien pour étouffer.