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III

A la fin de la campagne, le héros fut mis à une épreuve d’une autre sorte, d’où il ne se tira pas si bien.

Le roi de Prusse était allé faire un tour à l’armée. Il y avait montré une assez méchante humeur, à cause du désordre qu’il voyait partout, et s’était beaucoup fatigué, ayant voulu être traité non pas en roi, mais en officier, et coucher sous la tente. Il partit souffrant d’un mal qui s’aggrava en route. Vers la mi-septembre, son état était désespéré. Assis sur son lit ou dans un fauteuil roulant, il respirait à grand’peine, ne mangeait presque plus, mettait de l’eau dans son vin, et, après quelques tentatives, où le souffle lui avait manqué, ne fumait plus. Pour se donner l’odeur du tabac, il faisait fumer des généraux auprès de son lit. Plusieurs fois on le crut étouffé ; on le roulait précipitamment auprès de la fenêtre pendant qu’il criait : « De l’air ! de l’air ! » Il avait de rares accalmies ; un jour qu’il se sentait mieux, il commanda d’amener dans sa chambre deux cents grands grenadiers, dont le spectacle le réconforta, mais le mal reprenait plus terrible ; le corps était enflé jusqu’au-dessus du nombril ; quand on le remuait, on entendait l’eau battre les parois. Le visage noircissait. Tantôt, le malheureux querellait les docteurs, refusait de prendre des médecines et appelait la mort en battant ses pages à tour de bras. Tantôt, il obéissait aux médecins, se purgeait, se faisait suer devant le feu de la cheminée, et disait à un nègre qui le servait : « Prie ferme ! Je ne mourrai pas. » Mais ceux qui l’entouraient attendaient sa mort d’un jour à l’autre.

Le prince royal était encore à l’armée quand il apprit que son père était en danger de mort. Il lui écrivit des lettres touchantes, où il exprimait ses mille anxiétés et l’espoir qu’il gardait que Notre-Seigneur Dieu laisserait vivre longtemps encore sa majesté pour la consolation de tous. Mais en même temps il laissait voir à sa sœur Wilhelmine sa soumission aux desseins du bon Dieu, qui est le principe de tous les événemens et en dispose selon sa sainte volonté. La margrave s’étant montrée attendrie, il la consolait : « Je suis fort persuadé que, pendant qu’il vivra, je n’aurai guère de bon temps, et je crois que je trouverai cent raisons pour une qui nous le feront oublier assez vite ; car ce qui vous attendrit envers lui, c’est, ma très chère sœur, que vous ne l’avez pas vu depuis